A propos d’un article récent de Var-Matin sur l’histoire de la guerre du savon perdue par Toulon au profit de Marseille suite à une décision de Louis XIV en 1669 de mettre la cité phocéenne en zone franche, c’est l’occasion de revenir sur cette industrie locale naguère florissante.


La première fabrique de savons à Toulon fût fondée en 1430 sur l’actuelle place Gambetta autour de laquelle d’autres savonneries vinrent s’implanter (le « faubourg des savonnières » sur d’anciens terrains marécageux servant à parquer les troupeaux et à accueillir les bergeries des bouchers de la ville), qui furent toutes déménagées (à cause des odeurs) au-delà des remparts de la ville, dans la rue des savonnières vers 1633. Vingt fabriques y prospéraient en 1650. Les savons toulonnais étaient réputés pour leur incomparable qualité. Le commerce du savon était très florissant, l’activité du port de Toulon intense, une soixantaine de bateaux marchands étrangers y débarquaient tous les ans pour décharger leurs marchandises et repartir avec des huiles et des savons. Mais il y avait la concurrence de Marseille, des manufactures de savon s’y étaient installées après Toulon…L’édit royal qui donna l’avantage économique aux marseillais signa la perte du monopole de la fabrication du savon par Toulon et la disparition une à une de ses savonneries. Le gel des oliviers en 1709 donna le coup de grâce à cette industrie locale. La ville ne comptait plus en 1749 que 7 savonneries , puis seulement 4 en 1770 .

L’ancêtre du savon de Marseille était donc Toulonnais : Le « Petit Toulonnais « 

Il ne subsiste à La Seyne que la rue Taylor, signalée aussi en graphie mistralienne par l’appellation de « Carriero Sabouniero », c.à.d rue savonnière, qui rappelle cette activité découlant (si l’on peut dire) directement de la fabrication locale de l’huile d’olive.

Le savon est alors produit par un mélange de corps gras provenant de l’huile des oliviers avec de la soude obtenue à partir de certaines plantes maritimes ou par transformation du sel marin en soude caustique.

  • L’huile d’olive pour la savonnerie s’obtenait par ce système de la recense consistant à recueillir le liquide contenu dans la matière restant après le premier pressage destiné à l’huile alimentaire. 
    Cette matière nommée Grignon noir est constitué d’éclats de noyaux, de peau des olives et de la pulpe contenant des restes d’huile de la première pression. 
    (André Peyregne Var-Matin)
    L’huile de recense est une huile qu’on obtient en pressant les grignons (mélange de noyaux d’olive et de pulpe déjà pressée), après leur mélange avec de l’eau bouillante. “On obtient les savons durs, à Marseille, en saponifiant par la soude les huiles qu’on désigne sous le nom de recense”. Sur le blog de Jean-Claude Autran existe un témoignage de l’existence d’un terrain de la recence (quartier Peyron/Muraillette) où les charretons chargés des grignons des olives de Paulin Gros étaient portés pour, à l’aide d’eau bouillante, y extraire la dernière huile, qui était expédiée à Marseille pour y réaliser le savon. Plus tard à ce même endroit il y eut une usine d’arséniate de plomb (Paul Fabre & Cie). Jusqu’en 1956, le grignon blanc (des noyaux lavés à l’eau de source) était vendu aux meuniers qui en faisaient une farine revendue aux boulangers. Cette farine s’appelait « la fleurette », elle disparaissait à la cuisson et évitait aux boulangers d’avoir à brosser le dessous des pains une fois sortis du four.
  • La fabrique de soude de Porquerolles dès 1826 fournit toutes les usines savonnières de Marseille, jusqu’à la découverte en 1876 d’un nouveau processus de fabrication synthétique de la soude (le carbonate de sodium par le procédé Solvay).

La savonnerie Plaisant* à La Seyne sur mer, fondée en 1999, fabrique et commercialise Le Petit Toulonnais, les savons d’Alep et les savons de Marseille.

Rappel sur le moulin à huile de Paulin Gros* dans la rue Etienne Prat

On trouve chez Henri Ribot (éphémérides) :

Rappelons les faits déjà rapportés en leur temps et concernant l’affaire de l’usine de soude des Embiez :

En 1830, un certain sieur Cagniard, propriétaire des salins des Embiez depuis 1827, avait obtenu par ordonnance de Charles X après avis de l’inspecteur des forêts, du directeur général de l’administration des Douanes et du conseil d’État, l’autorisation de fabriquer de la soude factice à partir du sel marin, selon la technique mise au point par le chimiste français Leblanc.

L’ordonnance précisait que l’usine composée de huit fours et de quatre chambres de plomb devait permettre la condensation et la récupération de l’acide muriatique (chlorhydrique) dégagé ; mais ce ne fut hélas pas le cas : les vapeurs toxiques, dont l’absorption était incomplète, provoquèrent une dangereuse pollution. Engagé en 1833, un procès dura jusqu’en 1847. Cette année-là, alors que l’usine décomposait en soude jusqu’à cinq mille kilogrammes de sel par vingt-quatre heures, une commission d’enquête constata, après avoir visité avec la plus grande attention toute la partie Ouest et Midi de la commune de Six-Fours jusqu’à la mer

« une végétation des plus malheureuses les figuiers, dont le terroir se trouvait amplement pourvu, ont presque entièrement disparu, et les quelques arbres de cette espèce qui restent encore se trouvent dans un état tel de dépérissement et déssication qu’on peut les considérer comme entièrement perdus. Les oliviers se trouvent dans des conditions de végétation aussi mauvaises et hors d’état de porter le fruit à maturité. Les arbres fruitiers ont presque entièrement disparu et ceux qui restent n’ont aucune vigueur. La vigne, principal produit de ces terres, est à la veille d’être sous peu (sic) entièrement ruinée. Chaque pied de vigne qui, d’après l’usage établi, est cultivé sur trois ou quatre branches taillées et raccourcies, ne se trouve plus en avoir qu’une ou deux vivantes qui, presque toutes sont cariées et annoncent une fin prochaine (…). Partant, nous avons reconnu d’une manière évidente des dégâts considérables sur les plantes, arbres fruitiers, oliviers, vignes et autres productions du pays. Les dommages s’étendent à une grande distance des Embiez ils sont plus marqués dans les vallons et les bas-fonds où les courants existent ».

Après transmission de l’affaire au ministère de l’Agriculture et démission de la municipalité, le préfet du Var ordonna enfin, le 14 juin 1847, la fermeture définitive de l’usine de soude de l’île des Embiez ! »

(Royo Jean, Preleur Michèle, Degiovani Albert, 1995, cité par Henri Ribot (éphémérides)

« J’évoquais plus haut l’huile d’olive, mais il ne faut pas s’y tromper, celle qui entrait dans la composition du savon n’était pas l’huile alimentaire ! Elle provient des olives accumulées pendant une à deux semaines, voire celle qui sont meurtries ou bien les restes des précédentes phases de pressurage dont on a récupéré une huile de saveur forte qui n’était guère propre qu’à l’éclairage ou aux savonneries. Soulignons qu’au XIXe siècle, le gros de la consommation d’huile se faisait dans les savonneries, teintureries, ateliers de draperie, etc. où cette qualité d’huile était préférée à l’huile fine. Elle était produite en majeure partie par des moulins à recense dont de nombreux lieu-dit ont gardé le souvenir. La pâte obtenue dans une première pressions, dite à froid, contenant encore une grande quantité d’huile qui n’avait pu couler, pour en obtenir davantage, on avait recours à une opération qui consistait à desserrer le pressoir, ouvrir les cabas aplatis, briser les tourteaux ou grignons, et placer au fur et à mesure ces cabas en pile sur le bord du pressoir, du côté de la chaudière. On versait une mesure d’eau bouillante dans chaque cabas; on remontait ceux-ci sur le pressoir et on pressait comme pour la première fois. Dans cette opération, que l’on nomme échauder, l’eau bouillante délaie la masse des tourteaux, rend l’huile plus fluide et dégage de l’albumine qui se coagule du fait de la température. Pendant ce temps, avec une patelle, on enlève l’huile vierge qui surnage dans l’eau de la première cuvette. Dans un atelier bien équipé, il était nécessaire d’avoir ainsi plusieurs cuvettes pour donner à cette huile le temps de monter entièrement à la surface par le repos. La plupart du temps, on ne mettait pas assez d’intervalle entre les pressées et les levées pour que cette séparation soit complète. Lorsque l’eau de la première cuvette ne fournissait plus d’huile, on ouvrait le robinet placé au bas et le liquide s’écoulait dans la deuxième cuvette. On fermait ensuite le robinet afin de recevoir dans la première cuvette l’huile issue de la seconde pression à chaud. La séparation se faisait dans la première cuvette tandis qu’on préparait un second échaudage. Le deuxième échaudage terminé, on en faisait souvent un troisième. L’huile échaudée qui coulait des cabas était une huile fine, quoique moins délicate que l’huile vierge, lorsqu’elle est extraite avec des précautions convenables, et de l’huile commune quand elle était préparée dans d’autres conditions. On la mêlait la plupart du temps avec l’huile vierge. Enfin, dans les derniers bassins, lorsque cette eau d’échaudage est abandonnée au repos pendant un certain temps, l’huile qu’elle contient forme une nappe à la surface. C’est cette huile que l’on appelle l’huile d’enfer qui était employée dans la fabrication des draps et dans celle des savons.

Les huiles de recense se divisaient en deux genres, lampantes et marchandes. Par lampante, on entend une huile transparente, d’un jaune verdâtre, presque diaphane, à odeur forte, que l’on mélange aisément avec l’huile commune ou marchande destinée à la fabrication des savons. Les recenses marchandes comportaient des huiles en général troubles et plus ou moins épaisses; le plus souvent vertes ou brunâtre caractéristique due à la viridine contenue dans la pellicule de l’olive qui se combine avec l’huile. C’est l’altération des grignons qui donne les recenses brunâtres. Les recenses marchandes étaient très répandues dans le commerce, et certaines étaient tellement épaisses, par suite de la congélation de la stéarine, qu’elles ressemblaient à du petit suif. La falsification des recenses se faisait d’ailleurs par l’utilisation de substances qui en augmentaient la densité, comme le lard fondu, ou en ajoutant de la farine sous forme de colle grumeleuse. Enfin, les recenses contiennent toujours un peu d’eau, conséquence des lavages successifs auxquels elles ont été soumises.

Lorsqu’on enlevait ces huiles pour les livrer à la consommation, les résidus étaient achetés à bas prix par les épurateurs qui en extrayaient par l’acide sulfurique une huile propre aux savonneries, Selon une méthode utilisée pour les huiles de graines.

Aux Lônes, entre Sanary et Six-Fours, une usine de traitement des tourteaux d’olives avait été ouverte en 1860. Incendiée en 1867, puis réouverte, elle eut à affronter la crise survenue dans cette industrie par l’introduction des tourteaux de sésame étrangers, particulièrement en provenance d’Egypte. Moins taxés que les produits de l’olive, les savonneries se tournaient vers cette marchandise de qualité inférieure, mais moins chère. Un rapport du docteur F. Maure, membre du Conseil général du Var, nous fait comprendre la raison de la fermeture de cette usine.

« Nous. sommes en février, c’est-à-dire en plein moment de récolte et de vente, eh bien! telle est la dépréciation où est tombée l’huile d’olive que le commerce local effrayé par l’invasion toujours croissante du sésame, craint en prenant de l’huile d’olive, d’engager des fonds sur une denrée. dont la valeur décroît chaque jour, et se condamne à l’inactivité. Nos plus grandes usines sont fermées, les huiles ni les olives ne peuvent se vendre, les populations s’effraient et se demandent quel avenir leur est réservé; Les savons sont descendus à Marseille aussi bas que possible, hors de toute prévision ».

Fermée, l’usine intéressait un nommé PAOLATTI, qui, savonnier, désirait y installer une nouvelle savonnerie. La population sanaryenne qui a demandé à Marius MICHEL d’édifier le Grand Hôtel des Bains pour attirer les étrangers à SANARY, fit une demande pressante à la  » Municipalité, pour qu’elle refusât cette création. Une commission de commodo-incommodo fut créée qui devait donner son avis sur l’usine projetée. Comme Marius MICHEL*, qui était propriétaire de l’hôtel, ne voulait pas donner son avis, qui serait trop personnel, ce fut le maire de l’époque, SOLEILLET, qui écrivit donc au sous-préfet de Toulon, pour lui dire que construire une savonnerie aussi près de l’hôtel, ce serait mettre son gérant dans la nécessité de fermer, car les voyageurs ne supporteraient pas les odeurs plus que nauséabondes qui se dégageraient fatalement d’une usine de cette nature et de la rivière voisine appelée à recevoir les résidus. Ce serait la ruine de l’avenir de « notre charmante localité », qui commençait à être connue et voyait, chaque année, grossir sa clientèle d’hiver et d’été.

L’affaire de l’usine s’arrêta là ! et Marius MICHEL* se porta acquéreur du terrain. Avec une autre parcelle qu’il possédait, il y fit construire, plus tard, la villa MICHEL, où sa femme mourut en avril 1921. La villa devint ensuite pension de famille puis casino avant d’être détruite par les troupes allemandes en 1944 et rebâtie après 1945. Aujourd’hui, l’ex-Micheline a été transformée en copropriété résidentielle. » 

(D’après Barthélemy Rotger, 1984, p. 462-463.).

Retour sur l’activité de M. Paulin Gros (voir le Quadrilatère Germain Loro*)

Né à La Seyne en 1825, le sieur Paulin Gros, chef mécanicien aux Messageries Maritimes âgé de 40 ans, s’inscrit au tribunal de commerce de Toulon en 1865 pour son exploitation d’une « usine à vapeur destinée à l’extraction des huiles d’olives, de grignons et de graines oléagineuses de toute nature », sise rue séminaire, l’actuelle rue Etienne Prat, et donnant sur la rue de l’hôpital (la rue Clément Daniel). 

laseyneen1900.fr/2023/08/06/le-moulin-a-huile-de-paulin-gros-en-activite/*

Voir aussi http://www.laseyneen1900.fr/2020/08/06/le-jour-de-la-bugade/*

Sources :


Wikipédia


Archives du Var


Promenades dans Toulon ancien et moderne dédiées aux Toulonnais. Par H. Vienne

 
André Peyregne Var-Matin (La guerre du savon)


Jean Debout Var-Matin (La bonne huile d’olive)


Jean-Pierre-Peyron (Dissertation sur les moulins à huile, ou L’art de fabriquer les huiles d’olives réduit à ses vrais principes,1811 )


M. Coutance (Olivier, histoire, botanique, régions, culture, produits, usages, etc.1877) 


Les moulins à huile d’olive en Provence (http://randojp.free.fr/)


Des moulins à huile dans le Var et en Provence (http://randojp.free.fr/)


huile_olive_naturalite_savez_vous_parler_huile_olive(https://blog.tramier.fr/tramier)


huile_olive_les_vieux_moulins_a_huile_episode_1_le_var 
(https://blog.tramier.fr/tramier)


Extraction_de_l’huile_d’olive et antiques_méthodes_d’extraction 
(https://fr.wikipedia.org/wiki)


Lou trésor dóu Felibrige


Les deux photos des ouvriers du moulin seynois : Photos prises par M. Paulin-Gros, et aimablement fournies par André et Renée Lieutaud, descendants d’employés à la société Paulin-Gros », partagées par J-C Autran sur 
http://jcautran.free.fr/forum/histoire_de_la_seyne.html

Mise en forme par PdP pour La Seyne en 1900

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