La sécularisation, parade aux « lois scélérates »

« Le cléricalisme, voilà l’ennemi » (Gambetta 4 mai 1877)

« La franc-maçonnerie est au pouvoir…l’orage …se prépare contre la liberté »( le Père Quinson au Père Provincial) 

Le 18 Mars 1879, un projet de loi a été déposé : 

« Nul n’est admis à diriger un établissement public ou privé de quelque ordre que ce soit ni à y donner l’enseignement, s’il appartient à une congrégation non autorisée. » 

Le projet de loi interdisant l’enseignement aux congrégations non autorisées vise surtout les jésuites qui dirigent une trentaine de collèges en France. La Compagnie de Jésus est dissoute (décrets du 29 mars 1879) et les congrégations non autorisées ont trois mois pour demander leur agrément. (L’article sera définitivement voté en juillet 1880). Mais aussi toute congrégation peut être dissoute par simple décret du gouvernement. 

Le gouvernement rappelle que tout religieux, membre d’une congrégation non autorisée ne peut enseigner (article 7 de la loi de 1880)

La Société de Marie, Congrégation enseignante non autorisée,  tombe sous le coup de cette loi

La sécularisation*

Pour éviter la fermeture du collège et puisque « l’enseignement n’est pas interdit aux prêtres séculiers*, sur les conseils du Saint-Siège Léon XIII étant pape, le Père Fabre est autorisé à séculariser les religieux des deux collèges qui seront donc officiellement dirigés par  » des prêtres ex-maristes » (Sainte-Marie de La Seyne et de Saint-Joseph de Toulon) que Monseigneur Terris, évêque du diocèse de Fréjus et Toulon, accepte de prendre sous sa protection.

ou « de l’art de la Dialectique éristique* »comme moyen de survie » …avec la bénédiction du Pape !

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« …Par cet acte de sécularisation, nous avons rompu les liens religieux qui nous unissaient les uns aux autres et qui nous soumettaient à un supérieur religieux. Nous sommes devenus purement et simplement des prêtres séculiers… Nous sommes tombés sur la juridiction de l’évêque en diocèse où nous habitons…

Mais on dit : Vous êtes associés, vous vivez en communauté, vous poursuivez le même but qu’auparavant et vous êtes les mêmes individus…

Il faut tout d’abord distinguer entre être associés et vivre en communauté : être associé, c’est être lié les uns aux autres, par un contrat et par des engagements réciproques. 

Vivre en communauté c’est tout simplement habiter la même maison et y vivre d’une vie commune, pour faire une œuvre commune comme par exemple celle de l’éducation, laquelle ne pourrait pas se faire autrement … »

En novembre 1890, le ministère par le biais de l’Inspection académique, contrôle rigoureusement les établissements  et demande des renseignements sur le collège. La sécularisation des Maristes permet de maintenir l’enseignement.

« Les dernières années du siècle sont marquées par l’affaire Dreyfus. Les catholiques participent
activement au soutien du camp anti-dreyfusard par antisémitisme mais aussi et surtout au nom d’un nationalisme exacerbé. Les assomptionnistes par la voix de leur journal  » La Croix  » attaquent avec virulence Dreyfus et ses partisans, la République. Par contre-coup les élections législatives de 1898 amènent au pouvoir une majorité plus marquée à gauche ».

(Le Collège des RR PP Maristes à la Seyne 1843 – 1983)

1892

Dès le mois de juin 1899 Le nouveau Président du Conseil Waldeck Rousseau entend appliquer une politique de « défense républicaine. » en limitant le pouvoir des congrégations, en les contrôlant pour les soumettre à l’Etat. 

 1er juillet 1901 Waldeck Rousseau fait voter la loi sur les associations, elle place les congrégations sous un régime particulier :

Celles-ci ne peuvent exister que si elles sont autorisées par la loi et les membres des congrégations non autorisées n’ont pas le droit d’enseigner. Les établissements sécularisés depuis 1880 ne sont pas concernés par ces demandes; c’est le cas de l’Institution Sainte-Marie (comme l’Externat St-Joseph à Toulon). 

Aussi, quand le 12 septembre 1901, le ministère demande s’ils ont l’intention de de réouvrir en octobre dans les deux maisons, les directeurs déclarent qu’ils ont l’intention de rester à leur poste  » à moins d’ordres contraires émanant du diocèse de Fréjus ». 

Le 4 novembre 1901, Informé de cette situation , le supérieur de Toulon, pardon, l’abbé Georges, rend visite au Sous- Préfet et lui explique que les établissements de Toulon et de la Seyne sont régis par la loi Falloux de 1850, qu’ils dépendent de l’évêque depuis 1880 et qu’ils n’ont de ce fait aucune autorisation à demander. 

En mai 1902 avec l’arrivée au pouvoir de E. Combes et du bloc des gauches, la lutte anticléricale se fait plus violente, entraîne la démission de Waldeck-Rousseau et la formation d’un gouvernement qui restera en place jusqu’en 1905.

Emile Combes, le nouveau président du Conseil des Ministres, applique avec sectarisme les lois scolaires visant les congrégations., il ferme successivement 125 écoles religieuses non autorisées ouvertes depuis 1901 par des congrégations autorisées, plus les écoles ouvertes avant par une loi rétroactive. 3000 établissements sont concernés. La quasi totalité des congrégations masculines non autorisées qui ont fait une demande voient leur requête rejetée.

Le 30 janvier 1903, le Père Delaunay (La Seyne) et le Père Georges (Externat St-Joseph à Toulon) ayant prouvé leur qualité de prêtres séculiers font l’objet d’un non-lieu. Les deux supérieurs étaient en effet depuis 1902 l’objet d’une instruction judiciaire pour infraction à la loi sur les associations devant le tribunal de 1ère Instance de Toulon. Le procureur de Toulon fait appel.

Le 4 février 1903, le non-lieu est confirmé par la Chambre d’accusation d’Aix.

Le procureur général se pourvoit en cassation.

Au mois de mars 1903, Combes fait rejeter en bloc par la Chambre les demandes d’autorisation de nombreuses congrégations, dont celle des Maristes. Les congrégations enseignantes obtiennent cependant des délais de fermeture. Paris demande aux préfets de fixer ce délai avant le 1er Aout. La fermeture de la maison de Montbel et de la résidence de la rue Victor Clappier est fixée au 15 juin. 

Le 14 mai 1903 le commissaire de Police de la Seyne notifie au Père Delaunay l’ordre donné aux religieuses de l’ordre de la Sainte-Trinité* d’évacuer dans un délai d’un mois l’établissement et de se disperser*.(le départ des religieuses sera reporté au 31 juillet). Exerçant leur ministère à Sainte-Marie, mais aussi à l’hôpital, elles étaient à la Seyne depuis 1842 et au collège depuis 52 ans !)

Le 1° août 1903 la Cour Suprême rejetant le pourvoi du procureur général d’Aix reconnaît officiellement et définitivement la régularité de la situation de l’Institution Sainte-Marie, propriété du chanoine Delaunay. Elle confirme le non-lieu pour le Père Delaunay, mais casse l’arrêt pour le Père Georges, renvoyé devant la Cour de Nîmes, laquelle entérine le non-lieu le 16 décembre.

L’Externat et le collège de la Seyne échappent donc légalement à la loi de 1901…

Depuis 1904, le Gouvernement Combes a rompu les relations diplomatiques avec le Vatican et prépare les lois sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat. Mais En janvier 1905, le ministère Combes tombe à cause du scandale des casseroles, un fichage politique et religieux mise en place dans l’Armée française organisé par les loges maçonniques du Grand Orient de France. Il est remplacé par un ministère Rouvier plus orienté au centre.

Le 3 juillet 1905 les lois sont votées par la Chambre et ratifiées le 9 décembre par le Sénat. Elles stipulent que les biens ecclésiastiques seront dévolus à des associations culturelles et que la dévolution sera précédée des Inventaires :

Cette fois le collège, bien ecclésiastique, est directement visé la loi.

Aux élections de 1906, c’est une large majorité de républicains anticléricaux qui investiront le gouvernement Clemenceau jusqu’en 1909. Cette majorité radicale estime qu’en établissant un enseignement laïque, elle a terminé la politique commencée en 1877. Le temps est donc venu d’un certain apaisement.

 Le 28 septembre 1910 à l’issue d’une nouvelle enquête le sous-préfet de Toulon rédige son rapport :

« L’enseignement donné dans ces deux établissements est essentiellement religieux et antirépublicain. Ce sont des pépinières de futurs camelots du roy… Seul le monopole de l’enseignement peut faire cesser cette situation d’autant plus regrettable que ces deux établissements sont exclusivement remplis de fils de nos officiers de terre et de mer, ces derniers surtout… Il me paraît peu possible dans ces conditions d’exercer des poursuites contre les deux directeurs de ces établissements « 

Les élections de 1910, amènent au pouvoir de nouveaux députés plus jeunes et moins idéologues. 

1913 une nouvelle enquête administrative demandée cette fois par un sénateur du nord, Trystram, au ministre de l’intérieur. 

Le 3 mars 1914, le commissaire spécial de la Sûreté Générale de Toulon chargé de l’enquête donne ses conclusions : 

« Jusqu’au 1er janvier 1891 cet établissement fut la propriété de la congrégation des Maristes. A cette date, l’association fut dissoute et remplacée par une association de prêtres séculiers » 

La sécularisation des prêtres ex-maristes n’a pu être remise en cause, la Cour de Cassation ayant prononcé un non-lieu, on ne peut leur interdire d’enseigner. 

Pour ce qui est des biens (immeubles et meubles)

« Par des actes de vente notariés et régulièrement enregistrés Monsieur l’abbé Delaunay, est devenu depuis le 2 février 1902, le seul propriétaire de l’établissement ».

La régularité de cette vente est certifiée par l’administration des domaines, ..

« Les biens appartiennent en propre à un prêtre sécularisé sans lien officiel avec son ancienne congrégation, aussi ils ne peuvent être confisqués, ni liquidés au profit de l’Etat comme bien appartenant à une congrégation non autorisée et de ce fait dissoute……. » La liquidation de la congrégation des maristes de Lyon n’a jamais englobé les immeubles de l’Institution Sainte-Marie de la Seyne ».: »De l’avis général, l’établissement d’enseignement libre, dit des maristes à la Seyne, ne peut plus légalement être atteint ni inquiété à l’heure qu’il est… »

A la veille des vacances de 1914, il semble donc que l’avenir de Sainte-Marie soit assuré.

Mais bien d’autres épreuves l’attendent encore…

laseyneen1900.fr/2023/11/28/1914-li-s-m-est-requisitionnee-comme-hopital-militaire-complementaire/

(à suivre…)

Notes :

*Sécularisation : -« action de faire passer dans le domaine séculier un établissement religieux » (Fur.) 1690 ; -« Acte juridique en vertu duquel un clerc passe de la condition régulière à la condition séculière… »

*Séculier : -Qualifie des personnes ayant des engagements particuliers vis-à-vis de Dieu et de l’Église selon des statuts différents, mais dont la caractéristique essentielle est la vie dans le siècle et non en communauté] Anton. régulier (CNRTL)

*La Dialectique éristique (« L’art d’avoir toujours raison ») du philosophe allemand Arthur Schopenhauer (1788-1860) écrite en 1830 a été publiée en 1864…

Sources

L’Institution SAINTE MARIE La Seyne sur Mer 1849 – 1999

Le Collège des RR.PP Maristes à la Seyne 1843 – 1983

« Les Maristes de La Seyne, le collège des pères maristes, histoire d’une maison d’éducation catholique, de 1849 à la seconde guerre mondiale » : L. Roos-Jourdan. Conférence du 1er juin 2015 (le filet du pêcheur n°135)

CNRTL

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