La guerre
1er Août 1914 : La guerre éclate. Mobilisation générale ! On parie sur une guerre courte, juste le temps d’ un aller-retour pour couper les moustaches à Guillaume (« le Kaiser »).
Selon la circulaire Malvy d’août 1914, la loi de 1904 sur la fermeture des établissements congréganistes est donc suspendue.
Le destin !
Quand le père supérieur Ambroise Delaunay revient de Belgique, comme de nombreux religieux exilés voulant prendre part à la défense du pays, il trouve un Collège réquisitionné depuis le 6 août, transformé en hôpital militaire de 500 lits.
En temps de guerre sont créés des hôpitaux annexes des hôpitaux militaires qui relèvent de l’autorité de l’hôpital mixte et sont établis dans des lieux réquisitionnés.
la Ville de La Seyne a pu mettre à la disposition du service de santé près de 800 lits à partir du 6 août 1914 et accueillir des malades et blessés de la guerre jusqu’à la fin de 1920.
Parmi ces hôpitaux temporaires on distingue :
Les hôpitaux complémentaires (HC), installés dans des bâtiments réquisitionnés, les hôpitaux auxiliaires (HA), et enfin les hôpitaux bénévoles (HB)
- L’Institution Sainte-Marie est choisie pour sa capacité d’accueil et sa proximité avec la gare, réquisitionnée le 6 août 1914 elle devient l' »HC N°4″ avec 550 lits (615 selon une autre source) qui fermera le 14 décembre 1918.
- L’hôpital civil Saint-Jean devient le 14 décembre 1914 jusqu’au 31 décembre 1918, avec 103 lits, l' »HB N° 144 bis ».
- Le patronage laïque devient le 1er février 1915 jusqu’au 6 août 1917, « annexe de l’hôpital civil » avec 32 lits.
- L’hôtel des Sablettes-les- Bains, du 20 août 1915 à la fin de 1918, est l' »ACM N°164″ avec 30 lits,
- La Villa des glycines (qui deviendra le Régina), du 12 décembre 1915 à la fin de 1918, est l’ »ACM N°168″ avec 20 lits.
- Le Grand hôtel des Sablettes, « HC N°89 », fonctionne du 1er février 1918 au 1er novembre 1920. Spécialisé dans le traitement des maladies tuberculeuses, ouvert en 1918 et sera curieusement le dernier hôpital à fermer en 1920. (À la présidence du comité de surveillance on retrouve Cécile Chaminade*).
- La Gâtonne*, « HC N°88 » avec 80 lits du 29 mars 1918 au 25 février 1919.
- Le casino de Tamaris avec ses 120 lits complète la liste des hôpitaux temporaires.
Le Père Delaunay doit sortir un plan B pour accueillir les pensionnaires à la rentrée automnale…
Seul l’ancien couvent de la Présentation*, face aux ateliers de construction navale, semble être la solution mais il est complètement délabré, resté vacant depuis l’expulsion en 1903 des religieuses qui le tenaient depuis 1859. (De plus des soldats du 111e y avaient caserné).
Ce pensionnat, inoccupé depuis dix ou douze ans, contenait d’assez vastes locaux, pouvant recevoir deux cents élèves… La persécution religieuse en avait chassé les « Bonnes Sœurs »…
Tout était don à organiser dans cet immeuble, situé, comme chacun sait, de l’autre côté de La Seyne, en pleine campagne, près des Chantiers.
Le couvent de la Présentation avant 1903
« Nous ne nous doutions pas alors qu’un jour ce « collège de filles » comme nous l’appelions si dédaigneusement, abriterait nos frères, neveux et nos fils.«
Le Père Frédéric Graly (42 ans) qui doit partir sous les drapeaux écrit ceci :
» À la Présentation, les travaux avancent rapidement, mais le temps pluvieux ne favorise point l’assèchement du badigeon…On a profité le mieux possible des commodités que pouvait offrir le local. La rentrée reste fixée au 3 novembre, mais il y a des difficultés à vaincre encore, que de travail à faire « …
« Une convocation militaire me mobilise et m’oblige à tout quitter sans retard »
Aux chantiers, la construction navale est arrêtée et la reconversion en arsenal demande du temps. Le directeur des FCM n’est autre que M. Léonce Rimbaud* qui est aussi président de l’Association des Anciens Elèves. Il va mettre à la disposition des Pères les ouvriers et le matériel nécessaires à la restauration du bâtiment.
La rentrée scolaire
C’est là que, dès le 4 novembre, les élèves des classes de seconde et au-dessous seront scolarisés jusqu’à la rentrée de 1919. L’annexe de la Présentation accueille à la date indiquée, sous une pluie battante, plus de 200 élèves du collège. Un ancien élève se souvient :
« Des ouvriers partout : maçons, plâtriers, peintres. Un vent d’épouvante soufflait la pluie. Défoncée par les charrois, la cour était transformée en cloaque. Il fallait, pour y circuler, tendre des planches en guise de passerelles »
Le père Delaunay meurt le 26 septembre; il n’assistera pas à la rentrée le 4 novembre.
« La rentrée fut triste, pour diverses causes. On était en guerre; il pleuvait; les locaux n’étaient pas connus; bien des choses y manquaient encore, et surtout, ah ! surtout, le bon Père Supérieur n’était plus là ! La mort, qui régnait en souveraine depuis les premiers jours d’août, l’avait fauché dans l’intervalle, lui, le pilier de l’œuvre, le phare toujours éclairé dans la nuit, le guide sûr, le conseiller modèle.«
C’est le père Graly, sergent Frédéric Graly, qui devient le supérieur. Le Père Boissonet assurera l’intérim au collège, et l’annexe de la Présentation sera confiée au Père Jacob, puis dès octobre 1915 au Père Blondat ).
Les ordres de mobilisation enlèvent successivement au collège les Pères Mulsant, Watson et Baratin, (ce dernier décède lors du conflit) entraînant, de fait, de sérieux problèmes d’organisation et le vieillissement de l’encadrement, puisque dès 1915 près de la moitié du corps enseignant, religieux et laics, est parti sous les drapeaux.
Malgré la présence de nombreux malades ou blessés des premiers mois de guerre, la rentrée eut bien lieu à la date normale, au « Grand Collège » qui abrite l’administration générale et les élèves des cours de Marine et les classes du baccalauréat.
On trouve dans les bulletins annuels de 1921 :
« Durant ce temps, quatre-vingts de nos élèves seulement trouvaient place ici, tant la réquisition avait été draconienne. Il avait fallu les introduire avec une subtilité qui déconcerta l’autorité militaire, au point de la faire tolérante d’un état de choses qu’elle supportait mal. Pour avoir une étude on donna des chambres de maitres, qui ne pouvaient pas être réquisitionnées ». D’autres locaux trop rares étaient dans le même cas. C’est pourquoi on dormit à la bibliothèque. Le musée scientifique devint un autre dortoir »
L’hôpital russe
« La société impériale de la Croix-Rouge russe, présidée par Sa Majesté l’impératrice a décidé de créer un hôpital pour soigner les officiers et les soldats de l’armée russe ramenés de l’armée d’Orient. Le choix s’est porté sur l’institution Sainte-Marie. Cet établissement bénéficie de la sollicitude bienveillante de son Altesse la grande duchesse Anastasie qui fait de fréquentes visites ».
(10 mars 1917 dans l’hebdomadaire toulonnais « Je dis tout »)
Le collège était donc devenu l’Hôpital complémentaire n°4. Après avoir reçu des malades et des blessés français,(l’équipe médicale de l’H.C. no4 est constituée de 6 médecins français, le docteur Laffont en assurant la direction) il fut très rapidement affecté aux troupes russes. Le service de santé occupait toute la partie est du bâtiment principal, les réfectoires, les études, les dortoirs, les salles du bâtiment des classes et les communs. L’usage de ces derniers et la cohabitation des civils et des militaires n’est pas facile et il n’est jusqu’aux heures de fréquentation des commodités qui ne donnent lieu à discussion et notes de service ! (Les questions de discipline étant bien sûr réglementées selon l’usage établi dans l’armée russe !)
La Russie était liée à la France par une convention militaire, « la triple-entente », (voir par ailleurs l’Alliance franco-russe*). Le tsar Nicolas II signe un protocole en mai 1916 et envoie 40 000 hommes participer à la « guerre française » sur le territoire et sur le front de Salonique.
Le 7 janvier 1917 les premiers blessés russes arrivent à La Seyne.
Du mois d’août 1916 à mars 1917, il y a eu 5719 malades et 1 930 blessés évacués par les navires hôpitaux. En août 1917, on dénombre 787 soldats russes hospitalisés dans la XVe région militaire; 336 de ces soldats seront soignés à l’Institution Sainte-Marie de La Seyne. 72 sont morts et furent enterrés à La Seyne. Presque tous sont morts de maladie (tuberculose, embolie pulmonaire, paludisme, pleurésie, etc.)…reconnus » Morts pour la France. »
« Pendant toute cette période, l’HC N°4 utilise les locaux de l’Institution avec deux médecins-chefs, un médecin-major, un médecin de marine, un chirurgien aide-major, un médecin résident, un pharmacien aide-major, deux officiers d’administration, des chefs de salles, 73 infirmiers, des infirmiers volontaires. Ce personnel s’occupe des 550 lits dont 27 réservés aux officiers. L’hôpital dispose en plus d’une salle d’opération. Il est l’un des plus importants de la XVe région militaire ». (Les soins aux blessés, aux malades et aux convalescents ; l’implication des Seynois ; l’institution Sainte-Marie et l’hôpital russe à La Seyne par Dina Marcellesi)
Autre description : « Cet hôpital est dirigé par le médecin principal de première classe Pierre de Bielawenetz (entouré d’un médecin général, le médecin militaire Laskowsky, de deux médecins aide-major, d’une doctoresse, d’un pharmacien, de deux officiers d’administration, d’un interprète, de 17 infirmières et de 74 infirmiers), tous russes ». (Aux Maristes, un hôpital russe entre guerre et révolution par Thérèse Lépine)
Au collège les relations et la cohabitation avec l’hopital russe s’avèrent de plus en plus difficiles : le climat y devient « trouble et dégradé ». Le nouveau délégué de La Croix-Rouge Russe s’est rendu sur place pour tenter d’apaiser la situation. Pour cela, après avoir nommé un nouveau chef militaire russe dans l’établissement, il crée un troisième soviet. La situation continue de se dégrader. En effet, outre les faits déjà cités, indiscipline, vols divers, alcoolisme, trafic avec l’extérieur, le rapport souligne l’inquiétude politique due à la présence de civils liés au nouveau chef militaire. Pour l’État-major français, il est une certitude : il faut, dans tous les hôpitaux, traquer la propagande pacifiste et révolutionnaire avant que les propos tenus par les différents soviets ne gagnent tous les soldats, et envisager l’évacuation des soldats russes.
Le père Graly racontait cet événement en ces termes :
« Cet hôpital nous amena des hôtes glorieux, mais pas tous également désirables. Comment s’expliquer que d’une maison catholique par nature, on ait fait un hôpital russe ? Cela nous valut un avant-goût de la République soviétique prônée de nos jours (Suite à la révolution de 1917 les soldats sont devenus « citoyens-soldats). Un hystérique présidait au Soviet du moment et ne se déplaçait jamais, même en un corridor, sans une escorte de quatre hommes. »
Après la création du soviet, des assemblées du comité se tiennent à l’institut des Maristes, blessés et malades réclament des améliorations de leurs conditions de vie, notamment sur le plan alimentaire, ce qui ne va pas sans poser de problèmes à l’économe des Maristes, le Père Fanget : « Les dépenses étaient folles. «
Le gouverneur de région propose de faire disparaître au plus vite « ce foyer de pourriture qu’est l’hôpital russifié de La Seyne. Cet hôpital doit être rendu au service de santé français. Les blessés ou malades russes seraient traités par petits groupes, dans les hôpitaux français, sans comité«
11 novembre 1918 : l’armistice
En raison de l’épidémie de grippe espagnole la rentrée officielle n’aura lieu que le18 novembre. Seuls une douzaine d’élèves et leurs professeurs sont présents.
Un ancien se souvient :
« Le Père Blondat ouvre la porte d’un geste décidé et s’encadre dans l’embrasure. Vite, têtes et bustes de se redresser et de se tourner vers lui. Au milieu d’un profond silence il laisse
tomber ces mots : rendons grâce à Dieu, mes enfants car l’Armistice vient d’être signée avec les boches. Un bon sourire large ponctua ces paroles, des cris y répondirent. Bien vite s’empilèrent livres et cahier, tandis que la cloche s’ébranlait à toute volée. Par la cour ce furent des hurlements de joie, des gambades, des pétards « la Paix est faite ! » criaient déjà les petits. Des hommes graves hésitaient à accepter la nouvelle. Du fond d’une armoire de préfet sortirent de vieux drapeaux qui eux, avaient patiemment attendu le soleil de la victoire. En un clin d’oeil, la maison fut pavoisée jusqu’au socle de la Vierge qui domine l’entrée de la chapelle. En sortant nous trouvâmes les ouvriers des Chantiers; la grande nouvelle avait fait anticiper la fin de leur travail. Quelle cohue ! Ni tram ni auto ne pouvait plus circuler. Le sol était comme fleuri de confettis, et c’était à se demander d’où sortaient tant de drapeaux. Tout le monde pavoisait, et cette explosion de joie populaire faisait du bien à voir. »
Le Père Graly, infirmier sous les drapeaux, titulaire d’une citation, qui depuis sa nomination en 1914 n’avait pu passer que de rares permissions au collège, rentre définitivement le 3 mars 1919.
Lors de la première distribution des prix d’après guerre en 1920, Monseigneur Guillibert, évêque de Fréjus et Toulon qui présidait la cérémonie, proclamait :
« …la France qui se retrouve catholique, bien que de temps en temps elle joue à l ‘ enfant prodigue, toutes les fois qu’il s’agit de la gloire de Dieu et de la splendeur de la Patrie ! »
On pouvait augurer de l’apaisement de l’anticléricalisme, ce que la suite des évènements contredira*…
Sources
Les soins aux blessés, aux malades et aux convalescents ; l’implication des Seynois ; l’institution Sainte-Marie et l’hôpital russe à La Seyne par Dina Marcellesi) Association pour l’Histoire et le Patrimoine Seynois : Regards sur l’histoire de La Seyne sur Mer n°15.
Aux Maristes, un hôpital russe entre guerre et révolution par Thérèse Lépine Association pour l’Histoire et le Patrimoine Seynois : Regards sur l’histoire de La Seyne sur Mer n°18.
Archives I.S.M
Iconographie laseyneen1900.fr
Institution Ste Marie de La Seyne sur Mer 1849 – 1999
Le Collège des R.R P.P Maristes à la Seyne 1843 – 1983
Les Cahiers du Patrimoine de l’Ouest Varois n°14
PdP pour 3aism.fr et laseyneen1900.fr
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