En 1914 la situation légale du collège semble rassurante, le commissaire spécial de la Sûreté Générale de Toulon a conclu :

3 mars 1914 : « Jusqu’au 1er janvier 1891 cet établissement fut la propriété de la congrégation des Maristes. A cette date, l’association fut dissoute et remplacée par une association de prêtres séculiers » (ce que la Cour de Cassation avait entériné).

Il n’y a donc pour eux, prêtres séculiers déclarés comme tels depuis 1900, c’est à dire « vivant en communauté mais ne formant pas une association », n’appartenant donc pas à une congrégation, aucune interdiction d’enseigner et l’établissement appartient bien à l’abbé Delaunay depuis le 2 février 1902, la vente ayant été certifiée par l’administration des domaines.

Et pourtant…

À Lyon le liquidateur des biens de cette province de la Société de Marie n’est pas de cet avis. Pour lui, le Père Delaunay, malgré ses actes de propriété, n’est qu’un prête-nom. Par delà une fiction juridique, la Maison appartient bien aux pères maristes et doit être comprise dans la liquidation des biens de leur congrégation.

Il faut préciser qu’à la veille de la Grande Guerre, les élus du département sont à gauche, à l’extrême gauche même ( 4 socialistes et un radical représentent le Var à l’Assemblée.) 

Par deux fois le Tribunal Civil de Lyon (25 juillet 1917) puis la Cour d’Appel de la même ville (le 25 février 1919) vont déclarer que les bâtiments de l’Institution Ste Marie n’appartiennent pas à l’Abbé Delaunay, considéré comme personne interposée, mais font effectivement partie des biens de la Congrégation des Pères Maristes. Dès lors I’Institution confisquée comme bien religieux peut être vendue par la direction des domaines. 

La loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat, votée en décembre 1905, touche le collège, non en tant qu’établissement secondaire mais comme bien ecclésiastique. Voici ce qu’en pense alors le Sous-Préfet de Toulon :

«  L’enseignement donné dans ces deux établissements (le collège de La Seyne et l’externat de Toulon) est essentiellement religieux et anti-républicain. Ce sont des pépinières de futurs camelots du roy « .

Les procédures lancées, non plus contre les hommes mais contre les biens, suivent leur cours. Considérant que ces derniers appartiennent à la Société de Marie, et non au Père Delaunay agissant comme prête-nom, ils deviennent donc des biens congréganistes et sont confisqués puis vendus au profit de l’Etat. Un bras de fer s’engage alors entre la municipalité qui veut racheter les lieux, et l’association immobilière provençale qui défend les intérêts des Maristes et souhaite assurer la pérennité de l’établissement. L’association regroupe 900 membres, essentiellement des anciens élèves, soutenus par Léonce Rimbaud*, directeur des Forges et chantiers de la Méditerranée à la Seyne. L’affaire prend une tournure politique « le gouvernement de Poincaré au service de la réaction et de l’école religieuse «  , idéologique « la classe ouvrière unie contre le capital allié de l’église et du militarisme », d’autant que nous sommes à la veille d’élections législatives. La municipalité revendique de son côté, le soutien de la Ligue des Droit de l’Homme et du Citoyen , de la Libre Pensée et des francs-maçons, et dénonce par la voix de son premier adjoint : « l’union scandaleuse et néfaste du sabre, du goupillon et du coffre-fort ».

La Société Immobilière créée le 1er décembre 1921 (en l’étude de Maitre Ollivier, ancien élève, notaire de La Seyne) est constituée, outre Léonce Rimbaud, par Auguste Kauffer, ingénieur aux Forges et Chantiers, Marius Tholance, docteur en médecine, Jean-Baptiste Gros, propriétaire et négociant en huiles 1861 – 1937, fils de Paulin Gros du moulin à huile de la rue Séminaire*, Paul Giran, ancien receveur municipal et négociant en bois, Frédéric Ventre, ancien greffier en chef et Paul Caffarena. Tous ont été élèves au collège et participent activement à l’Association des Anciens Elèves de l’Institution dont Léonce Rimbaud est le président. 

Ancien élève du collège, directeur des Forges et Chantiers de la Méditerranée, Léonce Rimbaud est le plus grand patron du Var, un personnage réputé conservateur, autoritaire et intransigeant comme il l’a prouvé lors des grèves de 1919. Fervent catholique militant, il réunit autour de son idée quelques anciens qui ne se résignent pas la disparition du Collège.

28/12/1921

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C’est en s’appuyant sur cette association créée en 1878 que la Société va pouvoir racheter le collège non sans augmenter son capital de départ fixé à 224 000 F divisé en 448 actions de 500 Francs chacune. L’Association forte de 900 membres appartenant aux élites sociales et culturelles (propriétaires, rentiers, professions libérales, commerce et industrie, haute fonction publique) auxquels vont se joindre les parents d’élèves, fournira à la Société Immobilière Provençale les fonds qui lui permettront de racheter le collège.

19 avril 1923 : le conseil municipal réuni en session extraordinaire décide de :  » ne pas dédaigner de participer à cette vente aux enchères en vue d’en faire profiter si possible la collectivité seynoise dans un but scolaire. (La ville) pourrait installer dans cet établissement les écoles élémentaires de filles et de garçons…ainsi que le patronage laïque… les locaux pourraient être employés à la création de logements à bon marché. »

Pour se donner les moyens financiers, le conseil municipal « fixe à un million la somme jusqu’à concurrence de laquelle, il y aurait lieu de pousser les enchères« .

« …Une municipalité gourmande, avide de trouver un nid sacrilège en un bien d’église et de tuer définitivement une école chrétienne, florissante à un point qu’elle n’avait jamais connu. Elle comptait y mettre le prix : un million. Quand on peut « barboter » dans les poches des contribuables et y puiser de nombreux centimes additionnels, lésiner serait ridicule ».(Père Graly)

5 juin 1923 : Rapidement la polémique s’installe entre « Le Radical » et « La République du Var » ( Journal modéré, plutôt à droite ). Albert Lamarque, adjoint au Maire de la Seyne ( ville socialiste depuis 1919 ), conseiller général SFIO défend avec vigueur la politique municipale dans « Le Petit Provençal », journal radical :

« Chacun ses responsabilités, nos gros bonnets de l’industrie et des affaires se sont mis à courir dans la rue en criant partout que le conseil municipal sacrifiait les intérêts de la cité en intervenant dans la vente de l’Institution Sainte-Marie. A d’autres, braves gens ! Savez-vous jusqu’à quel degré vous êtes malfaisants, vous, pour les intérêts de la cité? On va vous le dire tout de suite.

Il ya six cents petites fillettes du peuple entassées dans cette maison ordinaire d’habitation de la rue Clément Daniel, en pleine ville sourde, parmi des ruelles étroites, sans jardin, sans air et avec à peine un morceau de cour, mais si petit que les enfants, pour y aller, sont obligés d’alterner les récréations. N o t r e pays vient de faire trois cents milliards de dettes en généraux, canons, fusils, mitrailleuses et autres, et nous avons toujours des gosses qui apprennent à lire dans des taudis. Quelle honte ! Il n’est rien resté de ces trois cents milliards, rien, rien qu’un charnier abominable et l’opulence des profiteurs qui surgit sinistrement sur les ruines muettes de la Patrie «  

23 juin 1923 : le  » Petit Provençal  » dénonce la Société Immobilière : c’est un groupement qui réunit  » Les grosses personnalités de La Seyne mêlées à la fois aux industries et aux affaires, à la réaction politique et cléricale « .

25 juin 1923 : « La situation politique et cléricale triomphe. Le gouvernement intervient contre l’application régulière d’une loi d’Etat, contre les intérêts généraux du pays, contre ceux de la ville de la Seyne, contre les enfants du peuple et de la laïque, au bénéfice de quelques enfants riches et privilégiés, au bénéfice du monde clérical et des pires ennemis du régime. La collusion est aveuglante. Pauvre Marianne ! ». « Le Petit Provençal »

28 juin 1923 : Même la Ligue des Droits de l’Homme et du citoyen s’est élevée pour prendre le parti des enfants des travailleurs contre la manoeuvre gouvernementale (« Le Petit Var »)

Finalement le 28 juin 1923 devant le Tribunal de Lyon, la Société Immobilière Provençale est déclarée adjudicataire du domaine de l’Institution Sainte-Marie pour 501 000 francs. 

La municipalité ne compte pas en rester là, elle organise le 10 juillet, une réunion à la bourse du travail à laquelle participe la ligue des Droits de l’Homme, la Libre Pensée ainsi que des francs-Maçons, Albert président de la Ligue des Droits de l’Homme, le Maire Dr. Mazen et Albert Lamarque le premier adjoint qui ne manquera pas d’exhorter la classe ouvrière à s’unir dans la lutte contre le « Capital allié de l’Eglise et du Militarisme »…

Le domaine sera finalement acquis en 1923 par la Société Immobilière Provençale et le collège sera sauvé….

Discours de Maître Maurel avoué à Toulon

…c’est qu’en effet mes chers amis, notre collège a traversé des heures pénibles, des minutes angoissantes alors que tout semblait se réaliser selon notre désir, que la vente et le rachat du collège semblaient ne devoir être qu’une simple formalité, brusquement, surgit devant nous un ennemi redoutable. Redoutable certes il l’était parce que corps élu constitué, disposant du pouvoir communal, et à ce titre des deniers des contribuables. En quelques heures, la participation aux enchères fut décidée, et les fonds furent votés avec d’autant plus de légèreté que c’était le public qui faisait les frais de l’opération. Tout fut rapidement homologué à Draguignan et revêtu de l’autorisation préfectorale. La commune de La Seyne eut donc quelques temps l’illusion d’être devenue propriétaire de Sainte-Marie. Mais la providence veillait. Elle avait en Monsieur Rimbaud l’exécuteur rêvé de ses œuvres. Avec une ténacité remarquable, une compétence consommée, il s’était mis à l’œuvre. Tous les dévouements lui ont été acquis et de l’union et de la volonté de tous a jailli le miracle tant souhaité : notre collège a été sauvé.

« Une belle occasion manquée » selon l’historien seynois Marius Autran (jcautran.free.fr : L’enseignement à La Seyne-sur-Mer)

Sources

Le Collège des RR PP Maristes à la Seyne 1843 – 1983 Rédigée par un groupe d’Anciens et éditée par l’Association Amicale des Anciens Élèves

« Les Maristes de La Seyne, le collège des pères maristes, histoire d’une maison d’éducation catholique, de 1849 à la seconde guerre mondiale » : L. Roos-Jourdan. Conférence du 1er juin 2015 (le filet du pêcheur n°135)

Forges et Chantiers de la Méditerranée ( 1914‐ 1966) et 07 – Les Pionniers de la construction navale à La Seyne sur mer : Jean‐Pierre Guiol 

Institution SAINTE – MARIE La Seyne sur Mer 1849 – 1999
Par L’Association de ses Anciens Elèves

ENTRE NOUS revue bimestrielle ISM

Presse locale : Le petit Var, La République du Var, Le Petit Provençal, Le Radical

Archives ISM

La Place du Marché Témoin du Temps  Images de la vie seynoise d’antan ­ Tome III (1990) : Marius Autran

Histoire Générale de La Seyne-sur-Mer : Louis Baudoin

Documentation LaSeyneen1900

http://jcautran.free.fr/oeuvres/martini/enseignement_a_la_seyne.html#2

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