Peintre talentueux et caricaturiste à ses heures, prolifique dans ses oeuvres (surtout des paysages et des marines qui ornaient la plupart des établissements toulonnais dont la Rotonde, la Taverne alsacienne, le café du commerce, la brasserie Pousset et autres beuglants de la ville), ayant fait l’école des Beaux-Arts de Lyon, Victor Girard dit Protais, né à Besançon, était un artiste très connu dans la région.
Avec son allure de dandy bohème, insouciant, spirituel, son éternel costume de velours, ses cheveux hirsutes, Protais était un personnage truculent, « à la verve populiste »… et réputé pour son intempérance notoire.
Il habitait campagne Hermitte dans l’allée de Mar Vivo au n°17, une maisonnette avec tonnelle et jardinet, (appelée parfois la bastide Protais). Au recensement de 1901 lui est noté artiste peintre de 31 ans, elle rentière de 52 ans (?), son « hôte »…
Hyacinthe Hermitte et Marguerite étaient au 13, l’abbé Vicard au 14 et Protais au 17 entre les Richaud et les Tessore (le jardinier). Sur la correspondance d’Autran la maison est plutôt située côté pressing et poissonnerie…
Il vivait là, maritalement avec Fernande, de sept ans son ainée, (42 ans à l’époque des faits) née à Cherbourg, de son vrai nom Louise Marie Briard.
Pendant une dizaine d’années ils avaient bourlingué en Algérie, en Tunisie et sur tout le littoral méditerranéen.
Fernande dès l’âge de 17 ans avait mené « une vie galante» à Paris, d’amants en amants, d’officier de marine en officier de marine, avant de s’amouracher de ce jeune artiste de 25 ans alors qu’elle en avait 32…
Tout le voisinage de ce quartier tranquille subissait les disputes nocturnes et avinées du couple qui se terminaient la plupart du temps en pugilat, fréquemment ponctuées de coups de feu puis de réconciliations, jusqu’au fameux soir du drame, le 19 octobre 1905 où Protais fut abattu d’un coup de revolver d’ordonnance en pleine poitrine par sa maîtresse, après qu’il eut manipulé une épée sortie d’une panoplie et lacéré les portraits qu’il avait peint de son égérie…
Détail troublant, quelques heures avant de passer de vie à trépas, Victor dessinait un panneau décoratif pour un tombeau en plaisantant sur le fait que ce ne serait pas le sien.
Pas d’obsèques religieuses selon le rite protestant comme l’aurait souhaité son beau-frère, mais bien un enterrement civil, le cortège formé de deux poêles* de la Libre Pensée escortant le corbillard, le cercueil recouvert d’un drap blanc bordé de rouge, sans fleurs ni couronnes, suivi par une foule considérable dont tous les Francs-maçons seynois et toulonnais.
*Le poêle étant le drap funéraire généralement de couleur noire pour un adulte, blanche pour un enfant, qui recouvre un cercueil lors d’une cérémonie mortuaire, et dont les cordons sont tenus par des assistants durant le cortège.
A noter que quatre souscriptions furent levées pour payer cet enterrement ainsi que le terrain qui accueillit la dépouille mortelle du jeune peintre.
Le procès de Louise Marie Briard se tint le 2 février 1906 à la cour d’assise du Var.
C’est l’avocat commis d’office, Maître Gouzian qui eut à défendre l’accusée, une plaidoirie brillante où furent évoqués tour à tour les motifs de la dispute, tantôt portant sur les chiens de la maison, le potage du souper, et même un différend plus sérieux, Protais ayant soutenu cette thèse inacceptable pour la Fernande que Jésus aurait été plus socialiste que Jaurès.
Une bagarre s’en était suivie, une empoignade pendant laquelle elle aurait essayé d’arracher des mains de Victor le pistolet avec lequel il la menaçait, le coup était parti tout seul, les détails de cette bousculade étant complètement sortis de la mémoire de la pauvrette (heureusement car cette hypothèse était totalement écartée par le médecin légiste qui affirmait que la balle avait été tirée de loin, mais « Planète Justice » ne diffusait pas encore ses enquêtes).
L’argument développé par maitre Gouzian fut que « cette pauvre veuve éplorée que vous avez devant vous sur ce banc d’infâmie », certes ex demi-mondaine mais qui avait délaissé la vie facile, le luxe et les plaisirs de la vie parisienne par amour pour ce bohème désargenté n’avait pas pu intentionnellement donner la mort à celui qu’elle aimait…
Louise Marie Briand dite Fernande fut donc acquittée.
Restent quelques tableaux de Protais, empreints d’une atmosphère lumineuse et sereine, comme ceux présentés ici…
Mise en forme PdP pour La Seyne en 1900
Sources
Archives du Var
Archives.la-seyne.fr
http://marius.autran.pagesperso-orange.fr/forum/personnalites_locales.html#3
Autoportrait : Coll. privée
à voir : Mar-Vivo
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