
Il fut un temps où le nom de Barrel était porté aux nues, synonyme de générosité, entre autre envers le sport seynois, puisque c’est lui qui finança la construction du « stade Barrel » à la Canourgue, avec son « vélodrome Barrel », avant qu’il ne devienne le stade Scaglia. Le chant des supporters de l’USS* (paroles de Gilardi et musique de Taliani) lui était même dédié !
La marche de l’U.S.S
Malheureusement cette réputation fut ternie quelques années plus tard par une affaire qui défraya la chronique judiciaire…
Quelques dates dans la biographie de Joseph Barrel
-1872 : Naissance à Saorge dans les Alpes Maritimes. Joseph, un jeune paysan des montagnes niçoises, arrive à La Seyne en 1891, se marie à 21 ans en 1894, avec une seynoise, Anna Carli.
1894
Le recensement les situe rue de la Paix en 1896 (future rue Cyrus Hugues*). Joseph est employé aux Chantiers comme aide comptable à 60 frs par mois (274 €).
Dans le recensement de La Seyne de 1901, on retrouve le couple au 11 bis rue des Maures (future
rue Baptistin Paul) : « Joseph Barrel, 29 ans, Chef de famille, Représentant, Patron », et « Marie Barrel, 30 ans, Épouse, Modiste, Patronne ».
La Direction des Forges et Chantiers lui confie alors la concession de l’enlèvement des métaux usagés.
-1902 : Création de l’USS* (voir par ailleurs).
-1904 : Le 14 mai, Fournier, 40 ans de Maison et Directeur des F&C depuis 1901, confie pour raisons de santé la direction des Forges et Chantiers*, société alors en déficit, à Léonce Rimbaud*. Barrel et Henri Pétin s’associent dans une entreprise de métaux et accessoires de constructions, ce qui provoquera les critiques du Petit Provençal qui accusera Pétin et Barrel, de faire travailler les chômeurs « à vil prix ».(1904)
Henri Pétin* « le marchand de métaux », un industriel qui représente la « Fédération Républicaine Socialiste et d’intérêts Seynois » est élu maire de la ville.
-1906 : Barrel et lui sont associés sur la place de la lune (rebaptisée Noël Verlaque du nom d’un ancien directeur des Chantiers navals, Conseiller municipal et Conseiller général, mort en 1894). Ils occupent 600 m2 sur le hors-ligne du terrain de la chapelle des morts, « ces terrains servent de dépotoir au maire qui y fait déposer ses ferrailles renfermant autant de microbes, si ce n’est plus, que les baraques des forains » selon l’opposition locale.

La ville vend le terrain dit « de La Chapelle des morts* » soit 2 843 m2 sur les 15 000m2 de la place à la Société anonyme des F&C le 6 septembre 1906, moyennant la somme de 20.100 francs ( 91 332,21 Euros + frais en sus) et c’est le 17 janvier 1907 que démarrera le chantier de la mise en place des piliers de l’atelier des turbines. Ainsi démarra l’activité de l’atelier mécanique…
-1911 : Henri Pétin* décèdera en 1911. On retrouve Barrel associé à Vieux en 1916, toujours dans la ferraille.

-1914 : La guerre
1914 : Les matières premières manquent. Les chantiers demandent du fer aux industriels de la Loire qui sollicitent en retour des déchets. Barrel leur vend quatre-vingts francs ce qu’il a payé cinq.
Conscrit 1892 N°Matricule 11 N° Volume 1
Passé dans la subdivision de Toulon le 29-12-1894- N°4424 Carpiagne 04-01-1916
Campagne contre l’Allemagne du 12-08-1914 au 26-12-1919
Libéré du service le 01-10-1919.
1919 : Le pays saigné aux quatre veines, impose les bénéfices de guerre. Barrel détourne trois millions et demi au fisc. Un inspecteur le dénonce. Aussitôt se dressent, pour le protéger, le préfet, le sous-préfet, le directeur des contributions directes, le directeur des contributions indirectes, enfin le directeur d’un grand journal de la place de l’Opéra, patriote et conservateur… Camille Fegy dans L’Humanité
-1920 : Les affaires sont prospères pour Joseph ! La piste de vélodrome située à la Canourgue et créée en 1917 est agrandie grâce à sa générosité et devient « le Vélodrome Barrel« .
Le stade Barrel

-1921 : Inauguration du nouveau parc des sports, agrandi par le don de terrains adjacents, appelé maintenant « Stade Barrel« .
« Cette société, à l’occasion du 1° de l’an (1921), offrait un apéritif d’honneur. De nombreux invités avaient pris place aux côtés des actifs administrateurs.
M. Barrel, juge au Tribunal de commerce, joint à son intelligente initiative industrielle des sentiments tout à son honneur. Il veut le développement de la race et c’est dans le sport que notre concitoyen estimé confine son espoir. Aussi a-t-il accepté la présidence d’honneur de l’A.C.S., et dans un discours que nous regrettons de ne pouvoir insérer faute de place, exalte la noble passion sportive.
« L’éducation physique de votre club. dit-il, contribue au développement corporel et intellectuel de ses membres. Elle est le perfectionnement du corps humain en donnant des qualités d’énergie, de persévérance et de décision.
« L’entrainement est une source d’émulation et votre association vous fait apprécier déjà les avantages civiques de la coordination des efforts et d’attentions pour atteindre le but projeté ».
Après les paroles d’usage de M. Lamarque et autres invités. cette charmante réunion prit fin, chacun emportant l’espoir que l’A.C.S. inscrirait cette année de nombreuses victoires à son calendrier sportif.«
À L’A. C. S (RDV 03/01/1921)
« La ville prit possession du stade et des installations sportives en 1925, mais le vélodrome fut détruit au bombardement du 29 avril 1944. Le stade omnisports, construit progressivement à partir de 1948, fut encore communément dénommé terrain de La Canourgue, ou stade de la Canourgue, et fut baptisé stade Antoine Scaglia après le décès accidentel du jeune athlète, sur le stade, en 1958″
Marius Autran
-1922 : I’Institution Ste Marie* est confisquée par l’état et mise en vente aux enchères publiques* par la direction des domaines.
-1923 : La Société Immobilière Provençale dont le président est Léonce Rimbaud* rachète l’établissement. Léonce Rimbaud, Ancien élève du collège, directeur des Forges et Chantiers de la Méditerranée, est alors le plus grand patron du Var.
-1923 : Joseph Barrel est multimillionnaire. L’industriel est maintenant Président du Tribunal de Commerce de Toulon. Angelo son fils né en 1910, externe chez les Maristes*, s’y rend en voiture avec chauffeur…

-1925 : L’Affaire
-1925 : Barrel est inculpé de vol de métaux. Interrogé chez lui dans sa villa, il nie en bloc et se démet de ses fonctions.
Sur les tablettes du tribunal de commerce, aucun nom de président n’est gravé de 1925 à 1931. Le successeur de Barrel, le bijoutier-joaillier-horloger Jules Blanchetière, pour cause de non payement des nombreuses traites qu’il avait signées, dut démissionner. Il fut remplacé en 1931 par le vice président doyen Léonard Ramay, un entrepreneur de maçonnerie. Le malheureux Blanchetière, chevalier de la Légion d’Honneur, fut même déclaré en faillite par le tribunal qu’il avait présidé !
Un inspecteur des contributions avait signalé dès 1923 à sa hiérarchie des dissimulations importantes de bénéfices de guerre à la charge de Joseph Barrel mais malgré son entêtement auprès de différents ministres et du garde des sceaux, l’affaire avait été étouffée…
-1926 : Le 3 juillet Barrel est accusé de détournements de matériaux au détriment des chantiers seynois.
Il est incarcéré.
-14 mai 1927 : Le cri du peuple (SFIO) publie :

-28 juillet 1927 : Le procès en correctionnelle
Le Petit var Juillet 1927
Devant la défection de Pastorello, l’un des principaux accusateurs « qui ne jouit plus de toutes ses facultés intellectuelles », l’audience est renvoyée et l’accusé remis en liberté.
4 novembre 1927 Ses biens sont confisqués et mis en vente aux enchères publiques : les bâtiments du textile dauphinois, deux immeubles et une villa à la Seyne, un rez-de-chaussée et un appartement à Toulon, boulevard de Strasbourg.
L’Humanité saisit l’occasion de ce procès pour publier une longue diatribe contre Barrel, l’Eglise, la Droite et le Grand Capital…
28 novembre 1927 L’Humanité
-01 décembre 1927 : Reprise du procès

« Ils se sont assis; cinq, assez ennuyés, sur le premier banc, ce premier banc qui, dans une chambre correctionnelle, a l’air d’être celui des bonnets d’âne : d’abord Joseph Barrel, l’ancien président du Tribunal de commerce. Il a le cheveu rare rejeté en arrière et la barbe en éventail du citoyen respecté parce qu’il est « à son aise ». Il joue nerveusement avec un étui de cuir dont il sort de temps en temps, d’un geste machinal, le lorgnon important de l’homme d’affaires ».

-16 décembre 1927 : Jugement et verdict
La lecture du jugement dura deux heures…
Le verdict

À noter : les lecteurs de La République du Var ont tout juste droit à un entrefilet ! (En 1926 on ne trouve pas la RPV dans les archives ?!)

-21 janvier 1928 : Un autre journal socialiste reprendra cette histoire dans le détail « l’affaire Barrel » avec une mise en perspective sur les dangers du Capitalisme…
Les dessous du Capitalisme
-02 janvier 1928 : Retour en prison.
« Joseph Barrel s’est constitué prisonnier. L’ancien président du Tribunal de Commerce de Toulon, après que le scandale des Forges et Chantiers eut éclaté, fut arrêté le 5 juillet 1926.
L’affaire ayant été renvoyée par le tribunal correctionnel à l’audience du 28 juillet 1927, on avait le jour même interrompu la prévention et il avait été mis en liberté provisoire.
Il lui faudra subir maintenant le régime des prisonniers pour une période qui, avec celle de sa prévention, doit atteindre la totalité des deux ans de prison auxquels il a été condamné.
Il y a quelques jours, M° Moro-Giafferi était venu à Marseille et avait eu avec son client une entrevue à la suite de laquelle il a décidé qu’il n’interjetterait pas appel du jugement rendu le 16 décembre par le tribunal de Toulon. »
L’Écho d’Alger, 5 janvier 1928

Une demande de liberté conditionnelle pour raison de santé fut demandée en février et refusée.
N’ayant pas versé à temps les 200 000 frs de dommages et interêts que les Forges et Chantiers lui réclamaient, il ne fut pas libéré le 13 juillet mais le 4 août après s’être acquitté de sa dette ainsi que des frais du procès.
En novembre 1928 le Parquet de Toulon chargea un juge d’instruction d’examiner des dissimulations de bénéfices de guerre reprochées à Joseph Barrel, mais il n’y eu pas de suite.
Joseph Barrel devenu veuf se remaria en 1942 et finit sa vie à Nice où il décèdera en 1962 à l’âge de 90 ans.
Sources
Généanet, Souvenirs familiaux Barrel, Archives départementales, CPA Delcampe, Presse locale et nationale dont L’Intransigeant, L’Humanité, Le cri du peuple, Le Nouvelliste du Morbihan, La Liberté, L’Est républicain, Le petit Var, Demain « le Travailleur », Le Petit Parisien, L’Écho d’Alger, Le Journal des débats politiques et littéraires, Centre-Express, Le Progrès de la Côte-d’Or, L’Oeuvre, Le petit provençal, etc…
Toujours très intéressant d’apprendre ce qui appartient à notre passé
toujours très intéressant d’apprendre sur le passé de notre ville! Merci
Très bel article, bien documenté et bien rédigé. Merci pour ce rappel de notre histoire locale