Avril 1914 : Henriette vient d’assassiner le directeur du Figaro pour avoir diffamé son ministre de mari. À Sarajevo on prépare les festivités du mois de juin pendant lequel le couple princier fêtera son anniversaire de mariage sans se douter que ce sera leur dernier. Alors que la France entière se promène avec l’ami Bidasse (originaire d’Arras qui comme chacun sait est le chef lieu du pas de Calais) et que sous la tonnelle on frôle le jupon de la Madelon tandis qu’elle vient nous servir à boire), un drame est en train de se nouer ce 18 avril 1914 à la Garonne du Pradet quand, ce soir là, après un bon repas, nos quatre convives décident de regagner Toulon en barque par une mer déchainée… Un pêcheur découvrira le lendemain au large de St Mandrier, sous la batterie de la Carraque, une barque « désemparée » avec à l’intérieur une paire de souliers jaunes de femme, un sac à main, une jupe ainsi que des vêtements d’homme ….

De notre envoyée spéciale Ludivine Rembobine

Le 19 avril 1914, quatre jeunes gens se noient près de Saint-Mandrier.
Tout commence avec la découverte mystérieuse d’une barque abandonnée, contenant de l’argent et des vêtements de femme, de quoi exciter la curiosité des journalistes et de leurs lecteurs.
Et bien que le mystère soit très vite résolu, l’on peut recenser plus de 50 articles relatant ce drame, relayés par les journaux, de Marseille au Havre, en passant par Alger.
Sans doute est-ce dû à la personnalité des victimes : une demi-mondaine, deux sous-officiers juste sortis de St Cyr, un ancien secrétaire d’état attaché au ministre de l’Agriculture.
Toutefois retracer avec exactitude le déroulé des évènements n’est pas chose simple si la seule base documentaire est le récit journalistique :

Récits du 21 Avril 1914

La « Gazette de France », qui titre « Suites tragiques d’une promenade en mer », raconte qu’on a recueilli une petite embarcation au Creux St Georges, contenant des effets féminins, 500 F. et une lettre adressée à « Céline, Rue d’Alger, Toulon ».
Puis, le temps qu’un rapport soit transmis à l’inscription maritime, on apprenait la disparition de Céline ROULIN 24 ans, originaire de Brest. L’enquête immédiate avait révélé que cette dame avait quitté Toulon vendredi après-midi pour voir son ami, sous-lieutenant de l’infanterie coloniale, caserné au fort de la Colle-Noire, avec lequel elle s’était brouillée quelques jours plus tôt, pour tenter une réconciliation.
La « Gazette » suppose qu’ils sont allés se promener en mer après leur entrevue, et se perd en questions…ont-ils été engloutis suite à la tempête ? se sont-ils donné la mort ? y a-t-il eu drame ?

« L’écho d’Alger », qui titre « Accident ou suicide ? » reprend à peu près ce que dit la Gazette. Cette fois-ci, la barque dérivant vers le cap Cépet contient des vêtements, masculins et féminins, 4 billets de 100 F. et une sacoche à bijoux.
Pas de mention de lettre mais l’enquête établit que les vêtements sont ceux de Mlle Céline ROULIN et de M. SOUCHET. On suppose que le mauvais temps les a conduits à se sauver à la nage ou alors que l’officier, craignant que sa maîtresse ne l’abandonne, l’aurait entraînée dans la mort.
Dans le paragraphe suivant, titré « on retrouve les corps des amants », les gardiens de la passe ont découvert les corps de Céline ROULIN et de … Pascal CESSET.

« Le petit Havre » reprend les récits précédents avec quelques détails supplémentaires. La barque est une « plate » trouvée à la dérive dans l’anse des « petits-frères » située non loin de la batterie de la Carraque. Le poste de l’Arraisonnement a immédiatement expédié une baleinière pour ramener la petite barque.
L’article reprend les difficultés relationnelles de Céline ROULIN et de M. SOUCHET et c’est au reçu d’une lettre de ce dernier que Céline ROULIN aurait décidé de lui rendre visite.
L’article hésite entre accident et suicide en arguant que l’officier redoutait d’être abandonné par son amie, âgée de 26 ans, laquelle était par ailleurs, une fervente de l’Opium.

« Le petit Journal » qui reprend les grandes lignes des récits précédents, rajoute que les victimes (quatre) étaient allées dîner à la Garonne. Une voiture devait venir reprendre deux des convives pour les ramener à Toulon, mais n’arrivant pas on proposa de revenir par mer sur une plate qui venait d’être réparée.
Le patron pêcheur EYRIES, de St Mandrier, a retrouvé dans l’anse de Cannier les cadavres de Céline ROULIN et de M. Cesset, qui ont été ramenés à la Seyne.

« La France de Bordeaux et du Sud-Ouest » est un brin plus loquace. Le drame s’est déroulé devant la plage des Sablettes :  la demi-mondaine d’origine bretonne, Céline ROULIN, 27 ans, surnommée « Presque Reine », est allée la veille dans la baie de la Garoupe avec deux lieutenants, MM SOUCHET et NORMAND et un jeune rentier, M Pascal CESSET. Ils firent un dîner copieux, puis louèrent une barque de pêcheur pour se promener en mer. Que se passa-t-il ? Voulurent-ils, malgré un vent menaçant, pousser jusqu’à Toulon ? Très gais, perdirent-ils l’équilibre en se penchant exagérément hors de l’embarcation ?
La barque contenait une partie des vêtements de Céline et une sacoche avec 4 billets de 100 F.
Céline ROULIN devait son surnom à sa liaison avec le fils de Sisowath, roi du Cambodge, quand ce dernier était élève au pensionnat de Bandol. De plus, un jeune enseigne de vaisseau nommé BUCHARD s’était suicidé pour elle l’année précédente.
La suite de l’article précise les états civils et courtes carrières des quatre victimes et indique que les deux corps retrouvés ont été déposés au cimetière de la Seyne sur Mer.

« La lanterne » titre « Quadruple noyade à Toulon » et raconte que l’on a trouvé une barque désemparée, dans l’anse des Sablettes, contenant des vêtements de femme, un petit sac avec 4 billets de 100 F. et une enveloppe au nom de Mme Céline ROULIN, demeurant rue d’Alger. Cette Céline ROULIN serait allée faire une « partie de plaisir » en mer avec deux officiers de l’armée coloniale, MM NORMAND et SOUCHET, ainsi qu’un jeune homme de la ville, M. Pascal COSSET.
Les cadavres de Mme ROULIN et de M. COSSET ont été retrouvés dans la rade.

Le « Radical », qui titre « Quadruple noyade » donne l’état civil des disparus. Cette fois-ci, Céline ROULIN a 28 ans, M Pascal CESSET est marié et propriétaire à Paris, les sous-lieutenants LENORMAND et SOUCHIER sont sortis récemment de St Cyr.
Dans l’après-midi, les gardiens de la passe ont découvert les cadavres de M Pascal CESSET et de Mme Céline ROULIN.

Pour « le Temps », qui titre « Disparus en mer », c’est un pêcheur de St Mandrier qui aperçoit la barque à la dérive. Il y trouve des vêtements de femme et d’homme, un portefeuille avec des billets, un sac à main avec des bijoux et une carte adressée à « Melle Céline ROULIN, 13 rue d’Alger, Toulon ».
La barque avait quitté l’avant-veille la Colle Noire avec les lieutenants d’infanterie coloniale LENORMAND et SOUCHET, une jeune femme nommée Céline ROULIN et un rentier toulonnais, M. CESSET.
Les excursionnistes n’avaient pas écouté les conseils et s’étaient embarqués de nuit pour gagner Toulon.

Pour « L’Homme Libre », le sous-lieutenant SOUCHET et le lieutenant LENORMAND étaient partis de la Colle-Noire pour Toulon, à 11h du soir, en compagnie de M. CESSET, rentier, et d’une demi-mondaine, Céline ROULIN. La barque chavire, quatre noyés.
Les cadavres de la demi-mondaine et du rentier ont été retrouvés sur la côte de St Mandrier.

Le « Figaro », qui titre « Le drame de Toulon » donne beaucoup de détails sur l’identité des victimes, notamment dates et lieux de naissance des deux officiers et surtout, orthographie correctement le patronyme de Pascal SAISSET.
Après avoir dit que les cadavres de Céline ROULIN et de Pascal SAISSET ont été retrouvés sur la côte de St Mandrier, il précise qu’ils ont été déposés au cimetière de la Seyne-sur-Mer.
Pascal SAISSET appartient à une riche famille parisienne, Céline ROULIN, dite « Petite Reine » pour avoir eu une liaison avec le fils du roi du Cambodge, est Bretonne et est venue à Toulon avec une troupe en tournée où elle joue dans une revue.

« L’excelsior » titre « Un drame de la mer fait quatre victimes » et rajoute « Parmi ces victimes, il y a deux jeunes officiers et un attaché de cabinet ».
L’article s’attache à raconter plus en détail les circonstances : les quatre camarades avaient passé la journée à la Colle Noire et devaient rentrer sur Toulon dans la soirée en voiture, mais cette dernière n’arrivant pas, ils avaient décidé, malgré des conseils de prudence, de prendre une barque, laquelle se serait remplie d’eau après un coup de vent près de St Mandrier, les obligeant à se jeter à la mer. Auraient-ils ensuite été trahis par leurs forces ou seraient-ils morts de froid ?
L’on avait retrouvé les corps de Céline ROULIN et de M. SAISSET dans l’anse du Canier au Creux st Georges.
L’article nous apprend également que le sous-lieutenant SOUCHIER était le fils d’un général, inventeur de jumelles à prismes et que M. Paul SAISSET était attaché au cabinet de M. RAYNAUD ministre de l’agriculture et que son corps a été reconnu par sa famille qui habite Toulon.

Voici les articles les plus complets du 21 avril 1914, le Petit Provençal et le Petit Marseillais :

« Attention ! »

Un mois plus tard la libellule ainsi que Charles de … passèrent en jugement pour avoir tenu une fumerie d’opium. Henriette fut condamnée lourdement alors que Charles (« qui avait subi l’influence de la co inculpée et qui regrettait son acte ») fut confié libre à la Marine pour y poursuivre sa carrière d’officier avec honneur…

Articles du 22 avril 1914

« Le Petit Provençal » et « Le Petit Marseillais » publient un récit plus détaillé :

Articles du 23 Avril 1914

Le « Journal du Cher » publie quelques phrases sur le drame, sans détails, du même contenu que ceux du 21 avril.

La « Dépêche de Brest » titre « La quadruple noyade » et s’attarde sur le fait que le chapeau de Céline ROULIN et le pardessus de M. SAISSET étaient sur la terre ferme, et secs. Le journal rajoute que les constatations des Dr Daniel* et Loro*, suite à l’examen des mains des victimes, leur font conclure qu’ils se sont cramponnés avec désespoir.
S’ensuivent les résultats d’une enquête sur Pascal SAISSET qui avait quitté Paris peu après son mariage, s’était occupé d’une affaire de publicité qui n’avait pas réussi et avait décidé de se rendre chez ses parents en chargeant sa concierge de faire suivre son courrier à Nice. « Récemment, les lettres qu’il n’avait jamais réclamées revinrent de la Côte d’Azur à Paris, où elles sont encore en souffrance, car il n’avait jamais fait connaître sa nouvelle adresse ».
La Dépêche de Brest termine sur les obsèques de Pascal SAISSET :

On parle également de ces obsèques dans « La petite république » :

Ainsi que dans le Petit Provençal :

Article du 27 Avril 1914

Articles du 4 Mai 1914

Le « Petit Parisien » titre « On retrouve le cadavre du lieutenant Lenormand » : son corps a été retrouvé par des pêcheurs, à peu de distance du petit port de « Garonne ».

Information relayée par « Le Rappel » :

..et par « L’indépendant des Basses Pyrénées » , le lendemain.

La République du Var

Article du 29 Mai 1914

« L’avenir du Tonkin » reprend toute l’histoire, se basant sur un article du Petit Marseillais.
Toutefois il semble ne pas savoir que le corps du sous-lieutenant Le Normand a été retrouvé.

Les actes de décès de Céline ROULIN et de Pascal SAISSET (n° 47 et 48) sont sur la même page du registre de Saint-MANDRIER :

Céline ROULIN

Céline Roulin n’était pas née à Brest comme le disent les articles de journaux, mais à la Baconnière, en Mayenne, le 11 mars 1888.
En 1906 le Petit Parisien, le Radical ou le Grand National indiquent l’arrivée du fils du Roi du Cambodge à Bandol :

Deux ans plus tard, un entrefilet dans « La Lanterne » :

Il semble donc que l’on a commencé à parler de Céline ROULIN suite à une liaison qu’elle aurait eue avec le fils du monarque.
Toutefois son nom apparaît vraiment en 1911 avec l’article du Matin :

Recensement Toulon 1911, place d’Armes :

Pascal SAISSET

Né à Marseille le 12 Janvier 1887, Pascal SAISSET est secrétaire parlementaire en septembre 1912 lors de son mariage à Paris avec Julie Millaud (cousine éloignée du compositeur Darius Milhaud).
Il sera attaché au ministre de l’agriculture Maurice REYNAUD (1860-1927) sous le gouvernement de Gaston DOUMERGUE.

Son père est décédé, sa mère habite Toulon, 6 rue Hoche.
Sa fille Liliane naîtra le 12 juillet 1913.
Quelques mois plus tard Pascal SAISSET quitte femme et enfant pour se rendre dans le sud et meurt en Avril 1914.
Sa veuve fera carrière en tant qu’Inspectrice Principale de l’Enseignement Professionnel de Paris

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Quant aux officiers SOUCHIER et Le NORMAND, je n’ai trouvé mention d’eux que dans le Journal des décrets de 1911 :

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Une enquête de Ludivine Rembobine pour La Seyne en 1900.

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