
Le 15 avril 2025 le Laborieux vient de se voir décerner le label « Bateau d’intérêt patrimonial« . L’aventure de sa restauration par « Les amis du Laborieux » est racontée dans une exposition à la maison du Patrimoine du 15 avril au 6 septembre 2025.
L’histoire du Laborieux (1946/47-1989), remorqueur emblématique de La Seyne-sur-Mer, est celle d’un symbole du passé industriel et maritime de la ville, intimement lié à l’histoire des chantiers navals des Forges et Chantiers de la Méditerranée (FCM)*.
Origines et construction (1946)
Le Laborieux est construit en 1946 par les apprentis du charpentage des Forges et Chantiers de la Méditerranée* à La Seyne-sur-Mer, dans le Var. Ce remorqueur en métal soudé à l’arc, une technique innovante pour l’époque, remplace un ancien remorqueur à vapeur nommé l’Utile. Long d’environ 20 mètres pour 3,5 mètres de large, jaugeant 28,3 tonneaux (pour la partie immergée assurant la stabilité du bateau), il est équipé d’un moteur six cylindres Deutz, similaire à ceux des chars d’assaut, lui conférant une robustesse adaptée à ses missions.
Rôle et activité (1946-1988)

Pendant une quarantaine d’années, le Laborieux sillonne la rade de Toulon et de La Seyne-sur-Mer, jouant un rôle essentiel dans les activités des chantiers navals jusqu’à leur fermeture en 1989.
« Remorqueur, mais surtout « pousseur », c’est lui qui déplace l’immense grue flottante Atlas; il achemine également des pièces de 10 à 40 tonnes vers les bassins de construction.
Le Laborieux a participé à plus d’une centaine de lancements et de mises à l’eau de navires. Il est chargé d’ouvrir la porte des bassins, d’alerter les bateaux qui se trouvent à proximité, puis de collecter tous les éléments du berceau éparpillés sur l’eau et de dégager la coque une fois l’ancrage effectué.
Le remorqueur servait aussi de navette, transportant des ouvriers des chantiers vers l’arsenal, mais aussi des « vedettes », stars de la chanson venues se produire à La Seyne sur un podium placé au milieu du port ».
Texte de l’expo à la Maison du Patrimoine

En effet, au-delà de ses fonctions utilitaires, il devient une figure emblématique de la rade, participant même à des festivités locales. Lors des fêtes du 14 juillet, il transporte des artistes célèbres comme Johnny Hallyday en 1961 (« Un concert de barge », titre de l’article de J.-M.V. en 2017), Eddy Mitchell, Jacques Brel, Henri Genès, Rika Zaraï ou Luis Mariano vers une barge-scène flottante pour des spectacles sur le port. Ces moments marquent la mémoire des Seynois, comme en témoignent les trois filles de Jean Piana, capitaine emblématique du Laborieux pendant de nombreuses années.
Quelques uns de ces artistes montés sur le Laborieux
Abandon et dégradation (1988-2021)
« En 1988, après la fermeture des chantiers navals en 1989, le Laborieux est retiré du service et échoué sur un ber (charpente berceau) à Balaguier, près du fort du même nom. Laissé à l’abandon, il est rongé par la rouille, pillé et vandalisé, son état se dégradant au fil des décennies.
En 1989, il est sauvé du ferraillage par Julien Roche. directeur du chantier naval, Jacques Le Drogo directeur de la Compagnie provençale de mécanique. et M. Garino, chef de production de la préfabrication qui organisent son transport au sec à Balaguier.
Il est soudé à son ber métallique, puis laissé à l’abandon plus de trente années durant. vandalisé, pillé, tagué, attaqué par la rouille, le pauvre remorqueur est le triste témoin de la fin de l’ère industrielle seynoise ».
Texte de l’expo à la Maison du Patrimoine
En 1992, la ville de La Seyne-sur-Mer devient propriétaire du bateau, racheté pour un euro symbolique aux Constructions Navales et Industrielles de la Méditerranée (CNIM), successeurs des FCM. Cependant, malgré plusieurs projets de restauration, aucun n’aboutit réellement avant 2021.
En 2010, l’association Patrimoine Maritime Vivant, dirigée par Gilbert Bressan, prend possession du remorqueur avec l’ambition de le restaurer via un chantier participatif impliquant lycées professionnels et bénévoles. Mais, faute de moyens et d’un lieu adapté, le projet échoue. En 2015, un mécène étranger, un retraité résidant à Tamaris et passionné par l’histoire de La Seyne, propose de financer jusqu’à 90 % des travaux (estimés à environ 182 000 € pour une réhabilitation, ou 400 000 € pour une remise à flot). Cependant, des complications administratives et un manque de volonté politique freinent l’initiative. En 2016, la municipalité récupère la propriété du bateau pour relancer un projet de restauration, soutenue par un autre mécène, un banquier allemand prêt à financer la moitié des 250 000 € nécessaires, mais là encore, les fonds complémentaires manquent.
Renaissance grâce à l’association des Amis du Laborieux (2021-2025)
En 2021, un tournant majeur survient avec la création de l’association Les Amis du Laborieux, présidée par Marc Lefebvre, un ancien chef d’entreprise (Metalunox) et ex-salarié des chantiers. Cette association, forte de près de 816 adhérents en 2024, se donne pour mission de restaurer le Laborieux, non pas pour le remettre à flot (trop coûteux), mais pour lui redonner son aspect d’origine dans un but esthétique et patrimonial.
« D’importants travaux de réhabilitation sont engagés grâce à de nombreux bénévoles, au soutien financier de la Ville et d’un généreux donateur.
Dès le départ, il était prévu que le remorqueur ne naviguerait plus. Les travaux s’orientent donc vers une réhabilitation dont l’objectif est d’ouvrir le bateau au public une fois la rénovation terminée, fin 2025.
Entre 2022 et 2025, les bénévoles présents sur le chantier ont effectué plus de 12 000 heures de travail. Grâce à leur bonne volonté, le bateau a retrouvé ses couleurs d’origine et son éclat d’antan.
Cette aventure rassemble de nombreux anciens travailleurs des chantiers (environs 50% de bénévoles actifs) ainsi que des passionnés. rassemblés au chevet de ce symbole de la construction navale seynoise, ancienne mascotte de la rade.«
Texte de l’expo à la Maison du Patrimoine
Les travaux débutent au printemps 2021, soutenus par :
- La Ville de La Seyne-sur-Mer (subventions de 13 000 € en 2022, 8 000 € en 2023, et environ 6-7 000 € en 2024).
- Un don privé de 15 000 € d’un passionné d’histoire maritime, M. Manfred Zass, généreux donateur.
- Les cotisations des adhérents (10 € par adhésion) et de petits dons locaux. Rapidement, le nombre de membres de l’association s’envole (plus de 989 à ce jour !). Ces membres contribuent également au financement du chantier grâce à leurs dons.
- Des partenariats avec le lycée Langevin (section chaudronnerie) et le CFA de La Seyne, qui participent à la reconstruction de pièces comme le roof, la cheminée, les prises d’air ou le croc de remorquage.

Parmi les étapes marquantes :
- Mai 2021 : Extraction du moteur, pesant plus de 1,5 tonne, nettoyé et repeint par les apprentis du CFA.
Le moteur Deutz
- 2021-2022 : Purge des 6 000 litres de fluides (eau, huile, gasoil) par une entreprise spécialisée pour éviter la pollution de la baie.
Année 2021 (janvier)
- 2022 : Repeinture de la coque à 95 % dans ses couleurs d’origine, pose de nouvelles menuiseries, installation de défenses en bois et d’un projecteur solaire pour les fêtes de fin d’année.
23/05/ 2022

- 2023 : Réfection du gouvernail, remplacement des vitres par du plexiglas pour les visiteurs, et pose de plaques en bois gravées du nom du bateau.
Année 2023 (janvier, mai, juillet)

- 2024 : La coque est rendue étanche, la timonerie et le pont sont restaurés à 98 %. Un article de 12 pages dans le magazine Navires & Histoire célèbre le projet, rédigé par Dominique Charvin, un Seynois collaborant aux archives de Marius Autran.
Année 2024 (juillet, août, décembre)
24/07/2024
Le chantier mobilise des chaudronniers, électriciens, et un bureau d’études, sous la direction de Marc Lefebvre, qui investit également des fonds personnels. L’association organise des événements pour sensibiliser le public, comme une permanence estivale, une distribution de flyers lors du passage de la flamme olympique en mai 2024, ou une animation de Noël en 2022.
Jacques Denis, un retraité d’Ifremer, documente le projet à travers des carnets de voyage illustrés, prévus pour un ouvrage intitulé Un bateau et des hommes.

Signification et avenir
Le Laborieux est bien plus qu’un bateau : il incarne la mémoire ouvrière et maritime de La Seyne-sur-Mer. Pour les Seynois, il évoque des souvenirs personnels, comme ceux des sœurs Piana, qui se rappellent leur père et les moments passés à bord avec des célébrités. Pour les bénévoles, c’est un projet de fraternité et de transmission, comme l’illustre le prêt du blouson du capitaine Piana pour habiller un mannequin à bord.
2017/2025
Le chantier, débuté en 2021, devrait s’achever fin 2025. Une fois restauré, le Laborieux ne naviguera pas, mais il pourrait devenir une pièce muséale. Deux options sont envisagées pour son avenir :
- Rester à Balaguier, où il est ancré dans le paysage local depuis 30 ans.
- Être déplacé au parc de la Navale, près de la Porte des Chantiers, pour une meilleure mise en valeur, comme le souhaite la maire, Nathalie Bicais. Un emplacement sur la pelouse près de la Porte est privilégié pour sa visibilité et sa sécurité.
Ce projet s’inscrit dans un effort plus large de préservation du patrimoine naval seynois, illustré par l’inauguration en janvier 2025 d’un Chemin de la mémoire le long de l’Atelier mécanique, avec 30 panneaux retraçant l’histoire des chantiers de 1856 à 1989.
« Projet d’exposition de souvenirs du Laborieux (une fois les travaux intérieurs achevés). 2026 Ouverture au public. animations, entretien et maintenance.
Le Laborieux rénové devra faire l’objet d’un entretien annuel (peintures extérieures afin de garantir sa bonne conservation ».
Texte de l’expo à la Maison du Patrimoine
Défis et budget
Le budget prévisionnel de la restauration est de 90 000 €, mais seuls 55 000 € ont été réunis à ce jour (dons, subventions, cotisations). Les 35 000 € manquants posent un défi, d’autant que les collectivités régionales (Région Sud, Département du Var, Métropole Toulon Provence Méditerranée) n’ont pas accordé de subventions. L’association compte sur de nouveaux mécènes et un possible financement participatif soutenu par la ville.
Conclusion
Le Laborieux, construit en 1946, est passé d’un outil industriel à un symbole de résilience et de mémoire collective. Après des décennies d’abandon, l’engagement des Amis du Laborieux, soutenu par la communauté seynoise, lui redonne vie. Ce remorqueur, témoin des heures glorieuses des chantiers navals, s’apprête à devenir un monument du patrimoine maritime, célébrant l’histoire ouvrière et l’attachement des Seynois à leur passé.
Si vous souhaitez plus de détails, Jean-Claude Autran a compilé toutes les coupures de journaux qui retracent les tribulations, le mot n’est pas excessif, du Laborieux :
Voici quelques anecdotes savoureuses rapportées par les bénévoles de l’association Les Amis du Laborieux, qui illustrent l’ambiance, les défis et les moments marquants du chantier de restauration du remorqueur à La Seyne-sur-Mer :
- Le moteur « tankiste » et l’apprenti intimidé (2021)
Lors du démontage du moteur Deutz en mai 2021, un mastodonte de 1,5 tonne, un apprenti du CFA de La Seyne, impressionné par la bête, a lâché : « On dirait un moteur de char d’assaut ! » Les bénévoles, amusés, lui ont expliqué que c’était exactement le cas, car ce type de moteur équipait des blindés avant d’être adapté aux remorqueurs. L’apprenti, d’abord hésitant, a fini par prendre confiance en nettoyant les pièces sous les encouragements des anciens, qui plaisantaient sur le fait que « ce moteur a plus d’histoires à raconter que nous ! » - La chasse au trésor rouillé (2022)
En nettoyant l’intérieur de la coque, un bénévole, Patrick, un ancien soudeur des chantiers, a découvert une vieille boîte de conserve coincée derrière une cloison. Pensant à une relique, il l’a ouverte avec excitation… pour y trouver des mégots de cigarettes et un ticket de tiercé daté de 1978 ! Les bénévoles ont éclaté de rire, imaginant un marin d’époque planquer son « butin » pour échapper au capitaine Piana. La boîte est désormais exposée dans leur local comme « le trésor du Laborieux ». - Le projecteur de Noël et la tempête farceuse (2022)
Pour les fêtes de fin 2022, l’équipe a installé un projecteur solaire sur le pont pour illuminer le bateau et attirer l’attention des passants. Tout fier, Michel, un bénévole électricien, a vanté son installation « à toute épreuve ». La première nuit, une bourrasque a fait pivoter le projecteur… qui a éclairé la maison d’un voisin pendant trois heures ! Le lendemain, le voisin, hilare, est venu offrir des cafés à l’équipe en disant : « Merci pour le spotlight, mais je préfère dormir la nuit prochaine ! » Depuis, l’anecdote est devenue un running gag pour tester les installations. - La leçon de peinture de « Papy Jo » (2023)
Joseph, surnommé « Papy Jo », un retraité de 78 ans et ancien peintre des chantiers, a pris sous son aile une équipe de jeunes du lycée Langevin pour repeindre la coque. Quand un ado a appliqué la peinture trop vite, laissant des coulures, Jo a lancé, mi-sérieux, mi-taquin : « Petit, la mer, elle pardonne pas les fainéants, et moi non plus ! » Il a passé une heure à leur montrer comment lisser chaque couche, racontant au passage comment il peignait des frégates dans les années 60. Les jeunes l’ont adopté, et il est devenu leur « coach officiel ». - Le blouson du capitaine et l’émotion des sœurs Piana (2024)
Les filles du capitaine Jean Piana, figure légendaire du Laborieux, ont prêté son vieux blouson de marin pour habiller un mannequin dans la timonerie restaurée. Lors d’une visite en 2024, quand elles ont vu le blouson en place, l’une d’elles, Marie, a fondu en larmes, disant : « C’est comme si papa était encore à la barre. » Les bénévoles, émus, ont observé un silence respectueux. Depuis, ils plaisantent doucement en disant que « le capitaine Piana veille sur le chantier », surtout quand une pièce introuvable réapparaît comme par miracle. - Le flyer olympique et le touriste curieux (2024)
En mai 2024, lors du passage de la flamme olympique à La Seyne, les bénévoles distribuaient des flyers pour promouvoir le projet. Un touriste anglais, intrigué, a engagé la conversation avec Dominique, une bénévole. Quand elle a mentionné que le Laborieux avait transporté des stars comme Johnny Hallyday, il a répondu, perplexe : « Johnny qui ? Un marin célèbre ? » L’équipe a ri aux éclats, et Dominique a passé 20 minutes à lui expliquer le rock’n’roll français, finissant par l’inviter à visiter le bateau. Il a promis de revenir… avec un dictionnaire franco-anglais !
Ces anecdotes, mêlant humour, émotion et camaraderie, montrent l’esprit d’équipe et la passion qui animent les bénévoles. Ils ne se contentent pas de restaurer un bateau, mais ravivent des souvenirs et tissent des liens entre générations…
1964 : L’Atlas approche la cheminée Strombos du Sagafjord
Un accident spectaculaire, le 28 décembre 1971, deux wagons de la S.N.C.F se sont échappés de leur convoi et ont plongé dans le port, le pont-levis n’ayant pas été encore abaissé.
28/12/1971 deux wagons plongent dans le port, le Laborieux est à la manoeuvre…

Témoignages recueillis auprès de deux témoins privilégiés en 2023 et 2025


Sources
Article élaboré (exceptionnellement) avec l’aide de GROK 3 compilé avec des bribes de textes de l’exposition à La Maison du Patrimoine (du 15 avril au 6 septembre 2025)
Photos coll. privée
Magnifique aventure pour un navire qui revient de loin. Mon père pur Seynois était désespéré de le voir mourir chaque jour un petit peu.
Il serait tellement ému et heureux de voir la renaissance du Laborieux.
Grace à vous, vous faites revivre un peu ces personnes ayant une histoire de près ou de loin avec le Capitaine Piana.
C’est à travers nos mémoires et vos travaux que nos ancêtres vivent encore.
Bravo et merci.