Inhumée trois fois !
L’incroyable histoire de Rose de Vallavieille, dont la tombe se trouve au cimetière de La Seyne, est racontée dans un ouvrage publié à Paris en 1896, « Superstitions et survivances… », d’un historien médecin de la marine toulonnaise, Laurent Béranger-Féraud, qui avait fait une enquête journalistique auprès des descendants des deux familles et les enfants des témoins, dont l’étude par Emmanuel Davin avait donné lieu à de nouvelles investigations, d’où plusieurs conférences de 1950 à 1961, et une publication en 1963, ayant, lui, recueilli le témoignage affirmatif d’une descendante de l’héroïne (Mme Dutheil de la Rochère).
Marius Autran en évoque la transmission orale dans « Mémoires d’entre tombes Images de la vie seynoise d’antan – Tome VII (1999) »
« L’histoire de la fausse morte qui revient à elle lorsqu’un violateur de sépulture tente de lui retirer son bijou est en fait ce que les ethnologues nomment un conte type, c.à.d un récit dont le schéma narratif se retrouve au cours des temps à travers de nombreuses aires de civilisation voire dans certains cas un conte quasi universel. » (Régis Bertrand)
Dans la Classification Internationale relevant de la Folkloristique (si, si ça existe !) cette histoire est référencée ATU 990, « The seemingly dead revives » (Pour info la sardine qui a bouché le port de Marseille est classée ATU 1960B).
Cette légende saisissante est aussi racontée ailleurs qu’à Toulon; la même est rapportée à Draguignan, Grasse, Cannes, Nice, Marseille. Inutile de préciser que seule la notre est à prendre au sérieux 🙂
1774
Laurent
Laurent François Xavier de Bernardy comte de Pézenas, est né et baptisé Franciscus Laurentius Xaverius Pezenas à Pézenas le 10/08/1739. il sera Capitaine de vaisseau du Roy, Chef des classes du département, Chevalier de l’ordre royal et militaire de St Louis. Il est Fils d’un officier de la marine royale.
Rose
Rose Louise Marguerite, comtesse de Vallavieille, est née à Toulon le 22 juin 1754. Son père Louis François Charles de Vallavieille (1730-1764) était Conseiller-Procureur du Roi en la Sénéchaussée de Toulon et Procureur à la Prévauté de la Marine, ayant servi comme capitaine de la flotte royale.
Tous les deux font partie de l’aristocratie toulonnaise.
Un soir d’été
Quelques mois après leur mariage qui eut lieu le 26 avril 1774, (elle avait 20 ans et lui 33) ils dinent dans leur maison de la rue Salvator non loin du port (aujourd’hui rue des Bonnetières).
Le comte de Pézenas répondant aux désirs de sa femme enceinte, a commandé des abricots pour le dessert. Rose avale malencontreusement un noyau, elle suffoque, elle ne respire plus, elle est morte.
Les funérailles ont lieu en la cathédrale de Toulon Notre-Dame-de-la-Seds, « dans les larmes, les prières et les chants religieux »
Laurent effondré, désire que Rose soit enterrée avec ses plus riches bijoux dont Un collier de diamants.
L’enterrement se fait au plus vite, au cimetière Saint-Lazare situé entre la porte d’Italie et le rond-point de Bir-Hakeim (le cimetière central de Toulon ne sera construit qu’ en 1829 en remplacement de Saint-Lazare et de celui dit de la Porte-Royale).
Nuitamment un brigand (le fossoyeur ?) profane le cercueil et, en essayant de détacher le collier du cou de la morte, la met dans une telle position et lui donnant un coup de poing dans le dos (« tèn-te dounc drecho »)qu’elle expulse le noyau d’abricot qui avait obstrué sa trachée, sort de sa léthargie et reprend conscience !
Inutile de préciser que l’histoire fit grand bruit dans tout Toulon…
La vie reprit son cours et le 12 février 1775, Rose de Vallavieille accouche d’un garçon, Joseph-François-Xavier, dont le baptême a lieu le jour même. Tout Toulon était là.
Lorsqu’on porta le nouveau né sur les fonds baptismaux de la cathédrale, voici ce qu’on entendit :
« Vaqui moussu de Pézenas, que fuguè anterra avans que d’estre na »
« Voici Monsieur de Pézenas, qui fut enterré avant que de naître! »
(l’enfant de Pézenas qu’ero mouart avant d’estre nas ! “qui mourut avant d’être né” chez Marius Autran).
Dix autres enfants suivront, quatre garçons et six filles.
Le premier, Joseph-François-Xavier, l’ »enterré pré-natal », devint Officier de marine et resta célibataire. Il mourut en 1853.
1789
Lors de la Révolution, le comte Laurent de Pézenas et sa famille se réfugient dans la propriété familiale de Pernes-les-Fontaines dans le Vaucluse. Mais ils y sont retrouvés. Arrêté, Laurent de Pézenas est fusillé sur place en 1793 le 6 septembre, à l’âge de 54 ans. Son certificat de décès est aujourd’hui accessible grâce à la numérisation des actes d’état civil de Pernes :
Rose de Villavieille, enceinte ( fausse couche ou fausse grossesse, son dernier enfant viable recensé est né le 8 juin 1789 ) est arrêtée comme ennemie de la Révolution.
Le 14 avril 1794 elle est ramenée à Toulon. On l’incarcère avec ses enfants dans la prison Sainte-Ursule, située sur l’actuel cours Lafayette. Mais une fois de plus le destin l’épargne. Elle échappe à la mort grâce à sa grossesse et est donc libérée.
La comtesse Rose de Pézenas finit sa vie à La Seyne-sur-Mer, dans le quartier de l’Evescat; Elle meurt en 1829 le 22 août à l’âge de 75 ans, elle qui avait traversé la Révolution, le Premier et le Second Empire, avait connu une république et le retour de la royauté.
On l’enterra dans l’ancien cimetière de la ville attenant à l’église*.
Mais ce ne fut pas sa dernière sépulture.
Fin 1837 en effet, un nouveau cimetière* est mis en service et ses restes y sont transférés dans I’ allée 10 Sud, 33ème place.
C’est ainsi que la comtesse Rose de Pézenas fut enterrée trois fois.
Sources
Archives du Var
passionprovence.org
« La Provence insolite » – Christiane Maréchal Editions Campanile
André Peyregne 2019 NVM
landrucimetieres.fr
marie-antoinette.forumactif.org
jcautran.free.fr/oeuvres/tome7/memoires_entre_tombes
Regards sur l’histoire de Saint-Mandrier-sur-Mer mai 2011 HPS Corine Babeix
Un officier de marine, M. de Pézenas, qui fut enterré avant de naitre Emmanuel Davin 1963 cité par Régis Bertrand dans « Provence historique » 2010
Superstitions et survivances étudiées au point de vue de leur origine et de leurs transformations 1896 de L.J.B Bérenger-Feraud cité par Régis Bertrand dans « Provence historique » 2010
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