Le 2 décembre 1851

Le matin du 2 décembre 1851, Louis-Napoléon Bonaparte président de la deuxième République, arrivé en fin de mandat et n’étant plus autorisé à se représenter, édicte six décrets proclamant la dissolution de l’Assemblée nationale législative, le rétablissement du suffrage universel masculin, la convocation du peuple français à des élections et la préparation d’une nouvelle constitution, qui sera promulguée le 14 janvier 1852 (pour succéder à celle de février 1848) établissant par le fait un régime présidentiel autoritaire.

À Paris

La résistance menée à Paris ou en province par les Républicains (Victor Schœlcher, Victor Hugo, Jean-Baptiste Baudin…) et par des membres du parti de l’Ordre non ralliés (le Père Lacordaire, le prince de Broglie) est écrasée par l’armée en quelques jours, avec plusieurs centaines de tués à Paris. (Moins d’un an plus tard, le 2 décembre 1852, à la suite d’un  plébiscite, le Second Empire sera établi, Louis-Napoléon Bonaparte deviendra « Napoléon III, empereur des Français »).

Dans le Var

Une insurrection républicaine éclate dans une centaine de communes du moyen et du haut Var, tournant à la jacquerie. Des soulèvements commencent dès le 3 décembre, avec à leur tête, un matamore marseillais, le journaliste Camille Duteil. Les Républicains prennent des otages parmi les notables locaux, des gendarmes, des nobles et des bourgeois (80 au total). Une quinzaine d’élèves du Collège apparentés à ces otages vivaient « dans des transes continuelles », égrenant fiévreusement leur chapelet et « recommandant à Dieu et à la Très Sainte Vierge le sort de ces otages ».

Les colonnes républicaines, mal armées, seront facilement dispersées par la troupe; il y eut entre 60 et 90 tués en quelques jours.

À La Seyne

La ville est alors une petite bourgade de 6497 habitants avec un petit centre et de nombreux quartiers périphériques. « Au-delà s’étend un vaste terroir agricole et forestier, où beaucoup de Seynois de la ville possèdent leur “campagne”. Mais La Seyne est d’abord un port, à l’importante population de gens de mer, navigateurs, pêcheurs (milieux traditionnellement d’opinions conservatrices sur le littoral varois), travailleurs liés directement ou indirectement à une construction navale encore grandement artisanale. Ouvriers et artisans côtoient une bourgeoisie enrichie par le commerce maritime, la construction navale, bourgeoisie qui fournit à la marine nationale nombre d’officiers, parfois de haut rang ». (René Merle « Association 1851 »)

La place du Séminaire marque l’extrémité ouest de ce centre ville. Elle est bordée au sud par la Capucinière. Celle-ci, comme tout monastère, est close et sa superficie est en gros le sixième du domaine actuel . Quant à l’unique bâtiment d’un étage, il fait grosso modo 30 mètres de long sur 20 de large. Le couvent des Franciscains tel qu’il fut construit en 1619, vient de subir un agrandissement, les premières constructions viennent à peine d’être achevées, l’effectif du Collège compte maintenant 120 à 140 élèves, en grande partie des fils d’officiers de marine, (marine de guerre ou marine marchande). D’ailleurs, aux distributions de prix, celle au moins de 1850, la musique des Equipages de la Flotte est envoyée par le Préfet Maritime de Toulon, pour rehausser l’éclat de la cérémonie. Au sud-est de la propriété un groupe de maisons : c’est le quartier Beaussier, au sud-ouest ce sont les Tortel, et au nord, en direction de Toulon, Saint-Roch.

Les Religieuses Trinitaires viennent d’être appelées en renfort pour gérer l’infirmerie, la cuisine, la lingerie et les dortoirs. La Société de Marie s’oriente dorénavant vers deux objectifs distincts : l’éducation de la jeunesse à La Seyne et les missions. Le R. P. Millot, part à Toulon fonder la Résidence du Bon Pasteur pour les missionnaires.

Si la plus grande partie de la population de tendance républicaine est hostile à l’Empire sans être particulièrement socialiste, tout mouvement insurrectionnel est peu probable. En effet, la présence de Toulon, place forte, rend difficile voire impossible ce type d’action. La force armée est impressionnante, le département vient d’être mis en état de siège, les Républicains sont divisés, et la classe ouvrière est passive.

Les arrestations préventives se multiplient. Le 4 décembre, le Préfet Maritime avait déjà reçu un télégramme l’adjoignant de maintenir «  l’ordre et la paix du Pays  » et le  » principe d’autorité qui peut seul sauver la France de l’anarchie qui la menace « .

A l’élection présidentielle de 1851, Louis- Napoléon Bonaparte a obtenu ici moins de 20% des voix. La majorité des Seynois est opposée au coup d’état et on va s’échauffer dans les « chambrées politiques », (le droit de réunion n’existant pas).

La plus connue de ces chambrées politiques est à quelques mètres du collège, sur le Cours (13 rue du marché), un cercle de lecture fondé par Auguste Carvin, horloger décrit dans un rapport de police comme « le plus démagogue et dangereux du département, faisant de la propagande socialiste » Dans ces chambrées, on discute beaucoup, mais aussi on joue aussi aux cartes, on consulte la bibliothèque, on lit les journaux, on fait des lotos. Les habitués ne fréquentent pas exclusivement une maison, mais vont de l’une à l’autre. À l’approche de Noël, on joue des victuailles dans toutes les chambrées de la ville, et elles sont nombreuses (Beaussier, Calade, Prieurs, Abonnés, Senès, Prosper…) 

Le coup d’état du 2 décembre est connu à La Seyne le matin du 4. Ce n’est que le 6 qu’un projet de rassemblement populaire prend forme à La Seyne comme à Toulon, les insurgés voulant rejoindre Draguignan pour investir la préfecture.

Le soir, après la journée de travail, une grande agitation gagne les différentes chambrées. A Beaussier, un loto est organisé. C’est là que l’on prévoit d’investir  de minuit à 2 heures l’hôtel de ville ,et qu’il faut s’armer en conséquence. Puis, on démarrera de Brégaillon au premier coup de fusil tiré à Toulon…

Les Voraces

La suite des évènements est relatée dans les archives du Collège, relayée ici en 1949 par le Père Graly :

Le 7 décembre 1851, des bandes révolutionnaires, appelées « les Voraces », qui pillaient, volaient, assassinaient en Provence décidèrent de la destruction de l’Institution…, résolues à assassiner les ecclésiastiques, à piller l’établissement et à s’emparer de ses élèves qui feraient bouclier dans leur marche sur Toulon. Un ami de la maison, le père d’un des élèves qui habitait en ville, franchit le mur d’enceinte et vint en informer le Père Eymard. À onze heures une fusée devait donner le signal dans le but d’en faire l’assaut, de massacrer quelques Pères et de prendre une vingtaine d’enfants comme otages. 

Pierre-Julien Eymard, canonisé en 1962
Par Bendi07 — Travail personnel, CC BY-SA 4.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=47216414

Vers les neuf heures du soir, le Père Supérieur monta au dortoir et avertit les surveillants que les insurgés cernaient la maison de tous côtés, et devaient l’envahir vers les onze heures de la nuit, pour s’emparer d’un certain nombre d’enfants et exercer leur fureur sur les Pères. Il fut décidé de ne réveiller les élèves qu’au moment où le danger serait imminent. Les Pères priaient à la chapelle quand l’un d’eux eut l’inspiration de leurrer les assaillants éventuels en illuminant la maison. Ce n’est que dans les années postérieures à ces troubles qu’on a écrit que c’était une inspiration du Père Eymard, mais il était suffisamment modeste pour en refuser la paternité. « Vous allez monter dans vos chambres, vous placerez aux fenêtres , après les avoir allumées, tout ce que vous avez de lumière et nous attendrons ». 

L’ordre fut exécuté immédiatement dans le but de faire croire aux insurgés que leur complot était découvert et que les assaillis se préparaient à la résistance. Bientôt des lumières brillèrent aux fenêtres. A cette vue Quand les « Voraces »qui entouraient les murs, prêts à l’assaut, virent cet édifice complètement clos, à la frondaison imposante, habituellement une masse très obscure (la Capucinière était toute entourée d’arbres) spectaculairement illuminé, (les 18 fenêtres en façade), les émeutiers se crurent trahis; ils pensèrent que des marins étaient cachés dans le Collège, prêts à défendre ces fils d’officiers. Il n’en fallut pas davantage pour déterminer leur dispersion, et pour noyer leur déconvenue. Ils se répandirent dans les cafés et bars de la ville, où les soldats de la marine et la police de Toulon, également informés par l’ami du Collège qui était parti pour Toulon par Ollioules pour n’être pas arrêté, afin de prévenir les autorités militaires. Celles-ci firent diligence. Entre 10 et 11 heures du soir, la troupe arrivait à la Seyne, rassurait le personnel du collège, arrêtait quelques-uns des bandits traînant encore dans les cafés tandis que fuyaient les autres. Tout porte à croire que, dans la soirée, dès l’annonce d’une certaine agitation à La Seyne, des militaires avaient été mis en alerte et diligentés pour parer à toute éventualité...« et Le Père Econome n’eut qu’à vider sa cave sans regrets ni remords au profit de ceux qui avaient sauvé la maison. »

Le lendemain les élèves furent tout étonnés de voir arriver leurs parents, venus prendre de leurs nouvelles; Ce ne fut qu’embrassades et cris de joie…

Est-ce que l’infanterie de marine avait eu le temps matériel pour arriver au collège entre 10 et 11 heures du soir ? Est-ce que vraiment le sous-préfet de Toulon, Monsieur de Lisa, aurait pu négliger de faire protéger l’établissement où son fils était élève ?

« Les bandits traînant dans les cafés » du bon père Graly, c’est-à-dire les gens arrêtés le matin du sept décembre, sont au nombre de quatorze dont sept ouvriers, cinq artisans et deux notables.

« Si nous savons qui a dénoncé les émeutiers de la nuit, nous ignorons qui était « l’ami » qui avait alerté les Pères. Qu’il nous soit permis de faire une hypothèse. Dans les rapports de police que nous avons en main, il est dit que Jacques Laurent s’était promené une partie de la nuit avec Argentery (fils du constructeur de bateaux, son patron), qui l’avait quitté vers 1 heures. Cet Argentery dont le frère Victor était un des premiers élèves du collège nous parait tout à fait avoir le profil de ce jeune homme ». 

Ni les journaux de l’époque ni les rapports de police ne parlent d’un projet de prise en otage des élèves, ou à plus forte raison de celui de massacrer les Pères. Censure des medias, secret défense, ou sentiment d’insécurité disproportionné chez les Pères l’histoire ne le dira plus. On a même eu droit à la version romanesque de Louis Baudoin (1965) qui évoquait, lui, une procession solennelle aux flambeaux avec chants et prières qui aurait mis en fuite les assaillants…

En tout cas, ces événements n’ont pas été pris à la légère par le gouvernement. Plus tard, une caserne sera construite au quartier de la Gatonne* (en 1894), à quelques centaines de mètres du collège. Plus près de nous un poste de police sera installé dans une maison jouxtant le Collège.

Le conseil municipal sera renouvelé le 16 décembre 1851 : le sous-préfet Charles de Lisa au nom du président Louis-Napoléon Bonaparte déclare le département en état de siège, dissout le conseil municipal, institue une commission municipale provisoire formée d’officiers en retraite, de propriétaires, d’un maître cordier (André Abran*), et nomme maire (à la place de Jean-Louis Berny) un constructeur de navires Antoine léonard Barry, lieutenant de vaisseau en retraite et conseiller général, “considérant que l’administration municipale de la Seyne a, par sa faiblesse, laissé se développer dans cette commune un foyer de démagogie de nature à compromettre l’ordre et les intérêts publics de cette localité”. Le 3 janvier 1852, le nouveau maire adresse au président “son adhésion à l’acte énergique par lequel vous avez préservé la France de l’anarchie qui s’apprêtait à la plonger dans l’abyme”. Du balcon de la mairie, Barry s’écriera : “Vive le Président de la République !” (et non “Vive la République”). et “Vive le Sauveur de la France”

Ste Marie

Pour les Pères maristes, assurément, « c’est Marie qui a inspiré le père Eymard, comme le Malin avait inspiré les insurgés. Et c’est Marie qu’il faut remercier ».

Cette tentative de mise à sac en relation avec le coup d’état du 2 décembre aurait très bien pu être le prélude à une confiscation de l’établissement. Cela n’arriva pas, mais le Collège n’était pas pour autant complètement à l’abri de nouvelles attaques, comme la suite nous le montrera…

Sources

Décembre 1851 à La Seyne (Var) Association 1851 par René Merle

Institution SAINTE – MARIE La Seyne sur Mer 1849 – 1999 Par L’Association de ses Anciens Elèves

Archives I.S.M dont des extraits du  » vieux manuscrit » disparu 

wikipedia

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