Les fêtes de Juillet à La Seyne.
« …Peu d’entre vous, lecteurs, savez ce qu’est la Seyne.
Excusez-nous de vous apprendre que c’est une fraîche petite ville, bâtie au bord de la rade de Toulon, entre la verdure qui descend du versant septentrional du cap Sicié et l’écume de la mer, La moitié de sa population se compose de charpentiers, calfats, voiliers attachés au port de Toulon ou au chantier de construction de la Seyne; un troisième quart de pêcheurs, et le dernier de cultivateurs…
Le premier dimanche de juillet, auquel est renvoyée la fête qui échoit le 2, ouvriers de toutes professions, pécheurs, marins, cultivateurs, endimanchés de leurs costume.– pittoresques, se réunissent sur le port.
Ils viennent y recevoir les populations voisines qui accourent à la fête, et les âmes qui, après avoir été promenées dans tous les environs, reviennent sur les pyroscaphes dont un service est organisé toute l’année entre Toulon et la Seyne.
Dès que la nuit est close, la ville s’illumine comme par enchantement, et sur les bords du golfe, au milieu des pins embaumés qui mêlent leurs parfums irritants aux fraîches senteurs des brises marines, l’orchestre appelle les jeunes gens à la danse, dans la salle verte, clôturée par les guirlandes d’or des genêts sauvages.
Et Dieu sait combien de doux baisers se dérobent ou se donnent, combien d’intrigues amoureuses se nouent au son des quadrilles infatigables qui retentissent jusqu’au lever du soleil, pendant que les vieux marins se racontent leurs voyages, pendant que les pêcheurs parlent de leurs pêches miraculeuses aux graves paysans et qu’il s’établit ainsi, sur une petite échelle, il est vrai, une communion fraternelle entre l’agriculture et la navigation. »…
LOU CAPELET OU « LA COURSE À LA BIGUE »
« Le jeu de la bigue figure à la place d’honneur dans le programme des réjouissances qu’on affiche, dans nos ports de mer méridionaux, à tous les angles de rues et à tous les grands mats des navires.
Il a lieu à bord d’un ponton amarré bord à quai. A la proue et simulant un mat de beaupré, une longue bigue, inclinée de bas en haut, est suspendue sur la mer par un cordage fixé d’un bout à son extrémité et de l’autre au sommet d’un mât planté au milieu du ponton.
Vers midi, disons-nous, lorsque le soleil a tiédi les eaux et ramolli l’épaisse couche de suif dont la bigue est couverte, le signal du jeu est entonné par les tambourins. Un agent de la force publique est à bord pour y faire respecter la discipline du jeu.
La foule encombre déjà les quais, obstrue les fenêtres et s’éparpille sur les toits des maisons qui bordent le port. Elle semble insensible, à force de curiosité, aux rayons caniculaires du soleil qui la brûle.
Voyons, maintenant, qui se montrera le plus hardi pour commencer? qui se dévouera pour faciliter le chemin a ses rivaux, à lécher avec la plante do ses pieds nus le suif perfide qui cuit et ruisselle sur la bigue? «Le voilà ! le voilà! » Et ces cris d’enthousiasme sont à peine poussés, que le bigueur a disparu dans la mer avec son grotesque chapeau tricolore qui surnage et que d’immenses éclats de rire ont accueilli sa chute fanfaronne.
« A un autre ! à un autre ! » Et chacun de rire ou d’applaudir selon que le bigueur se précipite gauchement et épouvanté ou tombe avec majesté, laissant lire sur son visage l’espoir d’une revanche plus heureuse. Mais voyez celui-ci. Il est arrivé aux deux tiers de la route… la joie rayonne dans son œil orgueilleux… la foule halète; elle semble suspendue aux semelles du bigueur. Encore un pas ! encore un… le voilà levant la main pour saisir la toison d’or… et plouf!
Le bruit d’un corps qui plonge rompt le silence général, et l’eau que cette chute a fait jaillir retombe en perles étincelantes et froides sur les curieux placés aux premières loges. Enfin, après une heure de tentatives infructueuses, un bigueur au visage sévère , noir du goudron dont il frotte le flanc des navires, s’avance gravement vers le ponton, monte sur le trépied suivé et s’y recueille un instant.
Puis, d’un pas ferme et sûr, il franchit la distance qui le sépare du but, arrache, d’une main aussi sûre que son pied, le pavillon qui flotte à l’extrémité de la bigue et le brandit fièrement sur sa tète! C’est le signal de la victoire, et les applaudissements frénétiques qui partent de tout côté proclament le vainqueur à la ville et à la rade. »…
« …La population. Elle attend alors avec impatience le coup de fusil qui annonce l’entrée dans la lice des canots de l’escadre, les avirons qui reluisent au soleil et se brisent sous l’impulsion puissante des vigoureux rameurs. Voilà un jeu dont le résultat est glorieux et utile, où les vainqueurs ont droit d’être fiers! »
Texte de Charles Poncy.
Dessins de Pierre Letuaire. (L’Illustration 1845) Page Fb : @laseyneilya100ans