Rappel :
1793 : A Toulon, les fédéralistes, bourgeois dissidents, se font rapidement supplanter par les nombreux royalistes, encore présents dans la flotte de guerre, qui proclament Louis XVII roi de France. Ceux-ci font appel à la flotte anglo-espagnole de la 1ère coalition qui combat la Révolution française.
Dès sa nomination, Buonaparte entreprend une reconnaissance détaillée des positions entourant la rade de Toulon. Celle-ci le mène à prôner, au lieu du siège méthodique de la ville, un plan qui consiste à s’emparer en priorité de la colline du Caire.
Ce point haut, situé à La Seyne-sur-Mer, s’avance dans la rade au sud, séparant la petite et la grande rade, et ouvre l’accès aux forts de l’Eguillette et de Balaguier qu’elle domine.
Cette position permet aussi d’appliquer des feux meurtriers sur la flotte coalisée stationnée dans la rade, interdisant ainsi tout ravitaillement. Carteaux, réticent face à l’originalité des idées de celui qu’il baptise le « capitaine canon », ne consacre à la réalisation de ce plan qu’un faible détachement qui échoue devant la colline du Caire le 22 septembre.
Les coalisés prennent alors conscience, eux aussi, de l’importance stratégique des lieux et entreprennent la fortification de la colline, qui devient « Fort Mulgrave », doublée de plusieurs défenses secondaires, l’ensemble étant baptisé le « Petit Gibraltar ».
Soutenu par son chef le général Dugommier, Bonaparte installe cinq batteries aux noms symboliques : les « Jacobins » sur la crête de l’Evescat au sud, les « Hommes Sans Peur » à l’ouest, les « Chasse Coquins » entre les deux, la « Grande Rade » et les « Quatre Moulins » pour interdire toute intervention de la flotte coalisée en secours du Petit Gibraltar. Pris sous le feu de ces batteries, les coalisés tentent une sortie afin de desserrer l’étau.
Une contre-attaque menée par Dugommier et Bonaparte les repousse et le général britannique O’hara, qui avait pris la tête de l’élément en tant que gouverneur de la ville, est capturé.
« Le 16 décembre 1793 a enfin lieu l’assaut général. Sous une pluie battante, les 6 000 Français se mettent en marche vers les positions ennemies à la faveur de la nuit…
Ils atteignent le Petit Gibraltar où les défenseurs, pris de court, ne leur opposent pas moins une résistance farouche. Aux vigoureuses charges françaises répondent d’impitoyables salves d’infanterie, faisant place à un furieux corps-à-corps où Bonaparte est blessé à la cuisse gauche. Bientôt, le drapeau français flotte au sommet du fort ».
Aparté : Georges Sand avait demandé qu’on élevât, dans ces bois, un monument ou tout au moins une simple colonne pour désigner au passant les lieux ou reposent, ignorés, tant d’héroïques patriotes. « Les antiquaires, dit-elle, cherchent avec amour, sur nos rivages, les vestiges de Tauroentum et de Pomponiana; on a écrit des volumes sur le moindre pan de muraille romaine ou sarrasine de nos montagnes, et vous trouveriez difficilement des détails et des notions topographiques bien exactes sur le théâtre d’un exploit si récent et si grandiose ! Aucune administration, aucun gouvernement n’a eu l’idée d’acheter ces vingt mètres de terrain, de les enclore, de tracer un sentier pour y conduire, et de planter là une pierre avec ces simples mots: « Ici reposent les Hommes-sans-Peur. » Ça coûterait peut-être 500 francs ! Ma foi, si je les avais, je me payerais ça ! Il semble que chacun de nous soit coupable de ne pas l’avoir encore fait ! Quoi ! tant de braves sont tombés là, et l’écriteau prestigieux qui les clouait à leurs pièces n’est pas même quelque part dans l’arsenal ou dans le musée militaire de la ville. »
La voix de Georges Sand n’a pas encore été entendue : et par un sentiment d’ingratitude dont l’Histoire due; et par un sentiment d’ingratitude dont l’Histoire n’offre, peut-être, aucun autre exemple, la France n’a pas encore daigné élever le plus modeste souvenir à ces glorieux Hommes-sans-Peur qui dorment leur dernier sommeil sur une terre qu’ils ont cependant rendue à la Patrie, au prix de leur vie. (Toulon, sa rade, son port, son arsenal, son ancien bagne / Laurent Mongin 1861-1904)
Son cheval est tué sous lui et le jeune officier français décide de continuer à pied.
Il est blessé grièvement à la cuisse par un coup d’esponton donné par un Anglais.
Le chirurgien Hernandez voulait l’amputer, mais sa cuisse a finalement guéri grâce aux bons soins de Jean-Mathieu Chargé (Las Cases, 1999)
La flotte anglaise riposte avec ses redoutables pièces d’artillerie, inondant pendant plus de trois heures le fort d’un flot continu de boulets. Rien n’y fait, les soldats républicains tiennent leurs positions. Le futur maréchal Marmont, alors lieutenant, y fait installer des batteries et, peu après, les forts de l’Eguillette et de Balaguier capitulent à leur tour.
Plus au Nord, les Napolitains et Espagnols abandonnent le fort Mulgrave sous le feu d’enfer de l’artillerie française. Tous les forts viennent de tomber et la flotte britannique n’a d’autre choix que d’évacuer la rade, non sans avoir incendié l’arsenal, les magasins de mâture et avoir coulé les douze navires français venus les accueillir quelques temps plus tôt ».
http://www.napopedia.fr/fr/Campagnes/toulon
Auprès du fort de Balaguier Bonaparte y trouvera cinquante chevaux et mulets égorgés selon l’ancienne coutume de la cavalerie anglaise…
Toulon est reprise, son nom infâme fut changé en « Port la Montagne »…Marseille dans les mêmes ciconstances avait été renommée Ville-sans-nom par les républicains en Août de la même année.
Bonaparte sera nommé général de brigade le 22 décembre après sa première victoire militaire. En quatre mois Napoléone Buonaparte passera du grade de capitaine à celui de général le 24 décembre 1793, à l’âge de 24 ans….
« Cette victoire de La Seyne, dont les résultats devaient se révéler si considérables, coûta environ onze cents hommes aux troupes françaises et près de deux mille cinq cents aux alliés, en tués, blessés et prisonniers ». (Louis Baudoin) …« 1000 hommes d’un côté, 2500 de l’autre« selon Histoire de Napoléon de Jacques Marquet de Norvins (baron de Montbreton)Furne et cie., 1837
« Au milieu de l’obscurité, de la pluie, d’un vent épouvantable et du désordre, des cadavres, des cris des blessés et des mourants… » (Correspondance de Napoléon Ier)
La grande Histoire ne fait pas cas de l’inhumation de ces milliers de soldats tués au champ d’honneur sur le territoire seynois.
Qui s’est chargé de les ensevelir ? les habitants du hameau de Seine tout proche ? Les combattants républicains devenus maitres des lieux après avoir fait sauter le verrou Mulgrave ? Ce ne sont pourtant pas les écrits qui manquent ! Il y a même un wikipédia sur Napoléon ! (Napopédia). Lui-même, si prolixe pendant ses campagnes, eut tout « loisir » pendant les dernières années de sa vie à dicter ses mémoires. La prise du fort Caire est pourtant décrite dans de multiples ouvrages ; jamais il n’est fait allusion à ce funèbre détail, et rien non plus dans l’histoire locale.
http://www.laseyneen1900.fr/2020/10/06/la-chapelle-des-morts/*
http://www.laseyneen1900.fr/2021/04/30/localisation-de-la-chapelle-des-morts/*
Il faut dire que cet épisode, ce détail de l’Histoire, ne faisait qu’introduire la prise imminente de Toulon, le point d’orgue de ce plan d’attaque, car « Au même moment, dans le brouillard et conduit par des bergers et bûcherons revestois, sous les ordres de La Poype, l’adjudant-général Mica s’empare du mont Faron en surprenant cette fois les Anglais au Pas de la Masque. Malgré la résistance des Alliés, le Faron tout entier est enlevé« . (chesnaud.univ-tln.fr/revest)…
« Demain, ou après-demain au plus tard, vous souperez dans Toulon. »
…avec le tumulte qu’engendreront la déroute des coalisés, les exécutions sommaires de leurs partisans royalistes (800) et l’envol de l’aigle vers d’autres cimes…
Tous ces faits d’armes sont longuement relatés soit par les protagonistes eux-mêmes, soit par les plus grands historiens contemporains ou plus tardifs, et très accessibles sur internet.
Deux évènements mineurs (mais pas tant que ça) méritent d’être mis en exergue car amusants ou tout au moins pouvant attiser une curiosité disons mal placée…
1- BUONAPARTE PROMOTION CANAPÉ ?*
2- NAPOLÉON, LA SEYNE DANS LA PEAU !* (La Charmante)
« L’envol de l’aigle »
Une belle exposition fut présentée au musée de Balaguier (2013/2014), évoquant le lien étroit entre la destinée de Napoléon Ier et le premier fait d’armes de Napoleone Buonaparte, la prise du fort Mulgrave à La Seyne…Une plaquette fut éditée à cette occasion, fort bien préfacée par Julien Gomez-Estienne et Anais Escudier :
https://www.la-seyne.fr/culture-et-patrimoine/archivesculture/2901-lenvol-de-laigle217.html
La commémoration du bicentenaire de la disparition de Napoléon 1er fut annoncée en 2020 pour 2021, l’an II de la Covid…2023 L’évènement Bonaparte à La Seyne…
à suivre…
laseyneen1900.fr/2020/08/08/le-fort-napoleon/*
http://www.laseyneen1900.fr/2020/07/31/une-enigme-en-6-indices/*
Sources des articles sur Bonaparte / Napoléon :
Il est toujours étonnant de voir sur les cartes postales que La Seyne, décidément, n’exisste pas. Tamaris, c’est « aux environs de Toulon ».. Ceci dit, félicitations pouir cet article
Effectivement, entre les approximations désobligeantes et les erreurs typographiques, cela mériterait une compilation… à réfléchir !
Hé bien, quelle belle découverte que ce site !
Monsieur Dimitri Casali, historien et spécialiste de Napoléon écrivit un livre simple et joliment illustré, au titre significatif : » Napoléon, le grand album de notre enfance »…..Une enfance pourtant bien réelle.
Quel plaisir et un immense merci Philippe, de revisiter ces lieux qui nous sont d’autant plus chers, que nous les avons tant parcourus ! Quel travail,quelle justesse et que de recherches pour apporter des réponses d’ailleurs elles aussi si bien illustrées pour nous éclairer sur ces énigmes, qui bien souvent ne retiennent que les images d ‘ Epinal et pour cause : Napoléon premier communiquant politique de l ‘ère contemporaine ? Probablement….
J ‘en veux d’ailleurs pour preuve cette fameuse « batterie des hommes sans peur ».
Jeune ( Je le suis moins…….), je me suis souvent posé la question de son emplacement, lorsque Monsieur Lebon « gardien »formidable du musée Naval avait la gentillesse de me laisser entrer ( Je ne le remercierai jamais assez …). J’y passais des moments merveilleux à bouquiner et rêver à l ‘ombre bienveillante de Buonaparte…
Mais revenons à cette batterie « des hommes sans peur », la plus célèbre dans le domaine de l ‘imaginaire. L’histoire de notre ville admirablement écrite par Monsieur Louis Baudouin (Il se définissait lui même comme un historien et homme de lettres) fait référence longuement et brillamment à ces journées de 1793. Avec au passage une recherche documentaire qui constitue un véritable régal.
Mais ce n ‘est que dans les années 90 (1900 , je précise…..)que j ‘ai pu avoir quelques réponses détaillées à travers une des recherches les plus abouties sur ce fameux siège de Toulon dont la « Seine » a été le centre, à savoir l’étude de Monsieur Pierre Vieillefosse dont de larges extraits ont été publiés en Janvier 1995 dans » les cahiers Seynois de la mémoire. Cinq cents exemplaires avaient été tirés à l ‘époque non numérotés, je le précise pour les fans » ou plutôt collectionneurs……
Alors j ‘ y arrive enfin !
Monsieur Pierre Vieillefosse écrit :
…… »Certains auteurs prétendent que les canonniers de cette batterie, épouvantés par les feux croisés des pontons anglais et des pièces de 36 du fort Mulgrave , refusaient d’y servir. Mais Bonaparte qui connaissait le caractère Français fit placer en avant de la batterie un écriteau avec ces mots écrits par Junot : « Batterie des hommes sans peur ».
TOUT CELA EST DU ROMAN ( je cite toujours….)
« Tous les artilleurs savent que l ‘on baptise les positions des batteries avant de les construire ou en cours d’aménagement, par un nom, des chiffres ou des lettres »…
Et monsieur Pierre Vieillefosse de citer tout simplement le billet écrit par Bonaparte.
Ollioules, le 24 octobre 1793.
» l ‘on établira ce soir la batterie des hommes sans peur au devant des deux moulins. …Je vous prie de faire vos positions en conséquence afin que ce poste soit protégé par un bon corps d’infanterie…..A une pièce qui est aux Sablettes ( Batterie des Sablettes…..) de s »avancer sur la pointe où l ‘on établit la batterie des hommes sans peur.. »
Pour Pierre Vieillefosse, ce texte établit bien le fait que cette batterie a bien été appelée ainsi avant sa construction !
Voilà vous êtes toujours là ?
S’ensuit toute une étude pour savoir la position exacte de cette batterie, mais en ce qui me concerne j ‘y ai renoncé depuis longtemps ( Deux , trois choses à faire ….) et je me garderai bien de toute hypothèse et me range sagement à l ‘hypothèse la plus probable du coté de la colline » Donnant » ( Gaumin). Je vous renvoie à la totalité de l ‘étude qui se trouve à la société des Amis du vieux Toulon(2 volumes)
Voilà il est temps de vous laisser, j ‘espère ne pas avoir été trop long (Juste un peu…), mais j ‘ai pris tellement de plaisir à lire cet article et les autres. Cela représente bien plus d’ailleurs qu ‘une simple lecture, car aimer ces lieux ,sa ville ses histoires et surtout ses » magnifiques personnes » qui ne sont jamais loin dans nos souvenirs, permettent de dépasser cette grisaille ambiante et malgré nos collines souvent entachées de constructions voraces, il nous reste nos rêveries, à nous de les transmettre, malgré ce temps qui passe, elles deviendront réelles…(Clin d’oeil…)
Encore merci Philippe d’enchanter et de remuer nos souvenirs.
Laurent.
NB : une autre source de documentation pour ce siège est l ‘étude de Monsieur Zénon Pons publiée en 1825(Pages 59 à 63) dont Monsieur Vieillefosse reprend avec bonheur quelques extraits.
Tout d’abord un grand merci d’avoir prêté attention à ce modeste travail d’amateur. Le cahier des charges de ce site étant de rester un tant soit peu ludique, j’ai élagué au maximum ce qui n’était pas dans le sujet que je voulais aborder, bien qu’ayant lu une masse de documents (merci Internet, les archives numérisées, les mémoires des uns et des autres, Gallica, etc, etc). Evidemment la question de la localisation exacte de la batterie des hommes sans peur a été soigneusement éludée,(j’ai bien noté qu’il y avait « un loup » là aussi ou plutôt un autre lièvre à lever) mais mon objectif étant la chapelle des morts, sa situation exacte et l’explication de son appellation, j’ai donc du aborder ce sujet par la bataille du fort Mulgrave et son funèbre corollaire supposé à savoir les Mouissèques et le bois sacré, pour lequel pas grand chose de concret n’est pour l’instant ressorti…Bien sûr j’ai succombé à la digression sur la gale impériale et la possible promotion canapé du petit capitaine, déjà bien aidé par la diaspora corse du continent… laissez moi digérer la satisfaction d’avoir un peu défriché le terrain et d’en avoir exhumé, à défaut de cadavres de soldats, tout au moins l’emplacement exact de la chapelle des morts ainsi que la durée approximative de son existence jusqu’à son délabrement et le souvenir qui en a persisté dans la mémoire collective durant un demi-siècle…J’irai rendre visite à ce Zénon cité par M. Vieillefosse (dont j’ai critiqué les plans de la bataille établis a posteriori avec cet anachronisme pouvant nous induire en erreur). Je relirai aussi Henri Ribot qui doit bien avoir des archives sur cette fameuse batterie. Pour l’instant un autre sujet plus facile me permettra de souffler un peu (L’îlot Verlaque)…Merci encore de votre commentaire, c’est très motivant !
Merci pour ce blog d’histoire rédigé avec aisance et efficacité .
J’aurais aimé avoir un professeur tel que vous…Il n’est jamais trop tard pour transmettre ses connaissances.
Longue vie à votre site » La Seyne en 1900 » une mine bien creusée par vos soins .