Saviez-vous que le père Louis se prénommait Jean ? Qu’ Alphonse Allais qualifiait le restaurant du Père Louis de « Notre-Dame-de-la-Bouillabaisse » ? Connaissez-vous la signification de l’appellation actuelle « Restaurant & Lipetun » ? Si vous avez répondu non à au moins une des trois questions, alors cet article est pour vous !

Le Père Louis

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Spécialité de bouillabaisses, langoustes à l’américaine, soles Marguery. Le vivier au premier plan.

Toulon, 27 décembre 1840 

« Rembarquons-nous, portons le cap au sud ouest, passons rapidement devant les ruines de la chapelle des morts, doublons le promontoire sur lequel est bâti le fort de l’Aiguillette, nous prendrons terre dans l’anse semi-circulaire située entre ce fort et la tour de Balaguier.

Pendant que dans la guinguette renommée, rendez vous de toutes les classes de la société, l’on préparera pour notre équipage et pour nous une ample bouille-à-baïsse, une bourride agaçante, que les crustacées convertiront le vert grisâtre de leur cuirasse en un rouge éclatant , que l’on ira ramasser des clauvisses, des praires, des dattes de mer, coquillages que quelques amateurs préfèrent aux huitres , nous irons visiter l’intérieur du fort de l’Aiguillette, nous monterons au fort Caire, et nous reviendrons par la tour de Balaguier, très disposés à faire honneur aux talents culinaires de notre hôte et à la cuisine provençale ».

PROMENADES  dans TOULON ANCIEN ET MODERNE. Par H• Vienne» , archiviste de la Ville» 

Dédiées aux Toulonnais. 

1904 :

« Notre petit vapeur traverse les lignes de l’escadre, le cap sur la bonne vieille tour de Balaguier, toute ronde et toute vide, et qui a l’air d’une énorme lanterne.

Nous laissons à notre droite, au fond de la rade, la Seyne et ses chantiers ; plus près de nous, l’Eguillette, les dépôts de fulmi-coton et l’ancien fort, le « petit Gibraltar, » que Bonaparte enleva de haute lutte aux Anglais.

La petite anse entre l’Eguillette et Balaguier n’est pas encore trop envahie par les villas modernes.

Le restaurant du Père Louis est toujours là, modeste, confortable et fleuri, habile aux fritures improvisées et à la bouillabaisse délectable.

Je me souviens avec attendrissement d’une belle soirée d’été où, après un fin dîner, nous regardions tous deux sur cette plage riante les pescadours bronzés qui tiraient gaiement la seine.

Dans l’eau transparente, sous les mailles brunes du filet, frémissaient des milliers d’anchois, papillotage irisé qui amusait les yeux… »


Anonyme
À Toulon
Revue des Deux Mondes, 5e période, tome 21, 1904 (pp. 593-635).

… »Nous venions d’arriver au « Père Louis », celui-ci placé au bord de la mer, disposait en terrasse, ceint de balustrades, frémissant de fleurs dans le léger vent du soir étincelant de cristaux et d’argenterie sous les premières lampes…de ces lieux qui, dès qu’on y pénètre, vous donne l’impression que le bonheur qu’on y goûtera aura des allures d’éternité. 
Cela tenait je crois à un équilibre fragile entre le durable (la mer, les terrasses, les balustrades) et l’éphémère (les fleurs, l’éclat du cristal, la blancheur des nappes)… 
…Le « Père Louis » venait de déposait avec componction un plat de moules marinières de Balaguier, et du vin de Cassis… « et après nous aurons des rougets grillés sur des sarments… », « la vigne et la mer réunies » selon l’expression de mon hôte »…
 


Henri Bonnier, « L’Enfant soldat » cité par Monique Estienne, Geneviève Bauquin 
De la mer à la table 
histoire de la famille Estienne à Balaguier 
(Regards sur l’histoire de La Seyne sur mer)

La pointe de l’Aiguillette, un fois doublée, on côtoie, jusqu’à la tour de Balaguier, une anse demi-circulaire où les barques de pêcheurs trouvent un excellent abri. Ce coin agréable, à qui la beauté seule de son site suffirait pour assurer une juste renommée, est encore célèbre, depuis bien longtemps, par un établissement qui jouit, pour ses bouillabaisses, ses civets et ses poulets sautés, de la même vogue que celle des restaurants d’Asnières pour leurs fritures et matelotes.

Tenu autrefois par un traiteur consommé, le Père Louis, commel on l’appelait communément, ce restaurant, quoique très confortable, n’était connu que sous le nom de guinguette du Père Louis.
Un petit hôtel moderne a remplacé le restaurant champêtre ; bien que le père Louis ait disparu depuis de longues années, son nom est resté attaché à l’établissement qu’il a créé, ainsi qu’au rivage de Balaguier qu’il a, pour ainsi dire, immortalisé dans la Provence entière.

Toulon, sa rade, son port, son arsenal, son ancien bagne / Laurent Mongin 1904

Notre-Dame-de-la-Bouillabaisse

« L’auteur de ces lignes (Alphonse Allais) et M. l’abbé La Sinse s’entendent à merveille sur les points les plus importants de l’existence, notamment, pour ne citer que celui­-là, la façon dont un honnête homme doit s’y prendre pour accomplir une bouillabaisse véritablement digne de ce nom, ou tout au moins les établissements vers lesquels il sied de se diriger afin d’y déguster, dans les plus sublimes conditions possibles, cette divine ratatouille… 

...Il fut donc convenu que certains mauvais sujets de notre promo­tion, dont M. votre serviteur, assisteraient à la messe de minuit en l’église de Balaguier, après quoi tout le monde, y compris le brave curé-doyen La Sinse, prendrait la direction de la vieille chapelle, depuis longtemps laïcisée, de Notre-Dame-de-la-Bouillabaisse, desservie par le père Louis, moine hilare qui se rit des foudres du père Combes* » . 

*Émile Combes (1835-1921), dit le « père Combes », président du Conseil de 1902 à 1905, artisan de la séparation de l’Église et de l’État. 

Alphonse Allais « Faits divers »

« J’ai la papille gustative et j’apprécie Louis »

Fernandel 1931

« Comme avant d’être artiste j’étais cuisinier, je peux dire en vérité que la cuisine ici est supérieure »

Félix Mayol 1934

Qui était le père Louis ?

-1770-

Le père Louis était d’abord un fils, le fils ainé de Thomas Estienne, un paysan de Cuges, le premier de la dynastie à s’installer sur ce beau rivage de Balaguier, la « belle eau » en 1770 à l’âge de 26 ans et à y faire pousser de la vigne, lui qui est cultivateur et fils de cultivateur.

Le fils ainé de Thomas donc s’appelait …Jean mais on utilisait son deuxième prénom, Louis.

C’est lui, avec son frère André, qui transforma la modeste guinguette sise au milieu de l’anse, entourée de cabanes de pêcheurs, pour en faire un petit restaurant.

Patron-pêcheurs, gargotiers, cabaretiers, ils créent le « père Louis ».

Militaires, douaniers voisins, la clientèle buvait le vin de la vigne de Thomas et se régalait de la pêche des deux fils.

-1851-

C’est Ambroise un fils de Louis qui prend la relève et contribue à la renommée du restaurant qu’il exploite pendant 25 années.

Le tourisme se développant, la haute société se presse pour savourer la bouillabaisse et la langouste à l’armoricaine.

Avec l’arrivée du chemin de fer à Toulon (1859) puis le développement de Tamaris grâce à Michel Pacha qui ouvre des liaisons maritimes desservant le Manteau (1880), la réputation de l’établissement est maintenant bien installée.

Les trois fils d’Ambroise, Honoré François et Charles prennent la suite pendant une vingtaine d’années, leur frère Louis patron-pêcheur leur fournissant le poisson.

« La pointe de l’Aiguillette, un fois doublée, on côtoie, jusqu’à la tour de Balaguier, une anse demi-circulaire où les barques de pêcheurs trouvent un excellent abri. Ce coin agréable, à qui la beauté Seule de son site suffirait pour assurer une juste renommée, est encore célèbre, depuis bien longtemps, par un établissement qui jouit, pour ses bouillabaisses, ses civets et ses poulets sautés, de la même vogue que celle des restaurants d’Asnières pour leurs fritures et matelotes. Tenu autrefois par un traiteur consommé, le Père Louis, comme on l’appelait  communément, ce restaurant, quoique très confortable, n’était connu que sous le nom de guinguette du Père Louis.
Un petit hôtel moderne a remplacé le restaurant champêtre ; bien que le père Louis ait disparu depuis de longues années son nom est resté attaché à l’établissement qu’il a créé, ainsi qu’au rivage de Balaguier qu’il a, pour ainsi dire, immortalisé dans la Provence entière ». 

Le Propagateur de la Méditerranée et du Var: revue mensuelle …1861 … au profit des pauvres. [1]-13, année, [jan.] 1861-jan. 1879 · Volume 1 : COUP D’OEIL SUR LA SEYNE, SES MONUMENTS, SON TERRITOIRE, SON AVENIR.

Puis se furent Thomas Armando et Jules Lacroix qui reprirent le « Père Louis » jusqu’en 1919 sous le nom de « Restaurant de Balaguier ».

-1905-

Dans la presse locale Au Conseil Municipal ( Henri Pétin étant maire) du 14 Avril 1905 on vote le budget pour l’élargissement du chemin de Balaguier (1500 francs). Le samedi 15 avril 1905 MM.Armando et Lacroix inaugurent Le Père Louis, grand banquet en présence d’Alphonse Allais et d’Edouard Porchier.

inauguration Samedi 15 avril 1905 en présence d’Alphonse Allais, l’année de sa mort

-1920-

Le fils de Louis, Marius reprend l’affaire et remonte le niveau gastronomique de l’établissement jusqu’à sa mort en 1954. Fernandel, Félix Mayol, Michel Pacha, George Sand, Cécile Sorel et tant de personnalités ont fréquenté l’endroit (Shirley Temple est citée dansant sur une table).

1922

Marius fut le dernier Estienne restaurateur, ses trois frères Victor, François et Joseph continuant leur métier de pêcheurs.

Source : Chantal.campana@leseynois.fr

-2020-

Puis Le « Père Louis devint le « Manuréva » dans les années 1980, puis le « Manuréva du Père Louis » en 2005 pour redevenir le « Père Louis » en 2020.

Au fait lipetun en provençal c’est la gourmandise…

Père Louis (Mer sur Seyne n°16) sur YouTube
https://youtu.be/sMCos6aGtEA

« La salle à manger de plein air avec vue sur la mer »

L’attribut alt de cette image est vide, son nom de fichier est 109579006_3155741041158782_651780282362175144_o-1024x649.jpg.
Le Père Louis
Article de MA.D. sur Var-Matin
mdalaine@nicematin.fr
(Photos La Seyne en 1900
)



Sources

Revue des Deux Mondes, 5e période, tome 21, 1904 (pp. 593-635).

Article de MA.D. sur Var-Matin

Chantal.campana@leseynois.fr

Henri Bonnier, « L’Enfant soldat » cité par Monique Estienne, Geneviève Bauquin 
De la mer à la table 
histoire de la famille Estienne à Balaguier 
(Regards sur l’histoire de La Seyne sur mer)

PROMENADES  dans TOULON ANCIEN ET MODERNE. Par H• Vienne» , archiviste de la Ville» Dédiées auxToulonnais. 

Commentaires sur Facebook :

Claude PMarius Estienne n’est pas le fils de Thomas, il a repris l’affaire en 1919 à son oncle, mais pas par héritage. Je suis sa petite fille je sais de quoi je parle
Noëlle G
en effet entre 1978 – 1980 le père Louis est devenu Manureva
Jean-Max V.
Le Père Louis n’a pas été débaptisé en 1954, à la mort de son propriétaire mais bien après. J’y ai habité en 1962 et c’était toujours le père Louis. C’est bien après qu’il a changé pour Manureva.
La Seyne en 1900 
Marius est bien le fils de Louis, comme il est dit dans l’article ( réf.Jean-Claude Autran et Monique Estienne ). C’est lui qui reprend l’affaire en 1919, succédant à Thomas Armando et Jules Lacroix qui l’avait exploitée pendant presque vingt ans sous le nom de « Restaurant de Balaguier ». Leurs deux noms furent liés à une sombre histoire de casinos clandestins si je me souviens bien, expliquée pendant une exposition récente sur les casinos au fort de Balaguier…

Mireille NLe restaurant de mon arrière grand-père…. un très beau souvenir de famille… des personnages illustres, artistes de cinéma français et américains, hommes politiques parmi lesquels ma maman petite fille Estienne a grandi …
Mimi P.
Magnifique vidéo qui retrace cette belle époque où mes ancêtres ont vécu et cuisiné… le dernier propriétaire , Marius Estienne était mon arrière grand-père , ma grand mère travaillait aux cuisines, ma mère se souvient d’y avoir vu les plus grand du show business et de la politique, elle se rappelle bien de Shirley Temple qui dansait sur une table … la belle époque… encore merci pour cette super rétrospective.

8 comments

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