De juin à novembre 1865, avec son paroxysme en septembre, le terrible fléau s’abat sur tout le pays. Dans le sud l’épidémie a surtout sévi à Marseille, Toulon et la Seyne. Cette épidémie cholérique fut la plus meurtrière des quatre que la ville ait eu à subir au XIXe siècle.
En 1865 la ville comptait 13 000 habitants dont 4 000 ouvriers qui travaillaient aux chantiers, on déplora 500 morts (soit les 4/5 des personnes atteintes*, 80%) sur une période de 4 mois, d’Août à Novembre 1865.
*Aujourd’hui près de 3 millions de cas et plus de 95 000 décès dus au choléra sont déclarés chaque année dans le monde selon l’OMS (3%). Le bacille (une bactérie « vibrio cholerae ») fût initialement observé par Pacini en 1854 puis isolé en 1883 par Robert Koch en Inde.
Louis Baudoin, à propos de l’épidémie de 1865 (aujourd’hui le terme pandémie est plus utilisé) dans cette ville « industrieuse et prospère » selon son expression, met en opposition les chantiers navals, l’établissement renommé des pères maristes, l’activité florissante maritime, les élégantes villas qui poussent ça et là, ET le quartier de la Lune avec son gros-vallat, les terrains marécageux proches des rivages, la basse ville, la mauvaise qualité de l’eau des puits, etc…
Quand le choléra s’abat sur la ville, les seynois s’exilent massivement.
Septembre 1865 : La Seyne : … le choléra a brusquement fait son apparition dans cette localité… samedi dernier le nombre de décès s’est élevé à 40, ce qui a causé une panique générale parmi les ouvriers de la Société des Forges et Chantiers de la Méditerranée. Ces braves gens, en proie à une frayeur mortelle, ont pris les uns la clé des champs, les autres se sont jetés dans les wagons du chemin de fer sans trop savoir vers quel point ils se dirigeaient…(Bulletins quotidiens)
Novembre 1865 : « Si nous avons eu à la suite de l’invasion successive des ouvriers italiens fuyant Marseille, Toulon, la Seyne, et se rendant en Piémont quelques cas cholériques, jamais la maladie n’a pris dans notre ville (Nice) un caractère alarmant« . (la Gazzetta Genovesa)
Le silence qui règne est seulement interrompu par le bruit des corbillards et le tintement de la cloche qui annonce les nouveaux trépas…
Louis Baudoin relate cette période ici : http://seynoise.free.fr/seyne_ancienne_et_moderne/chapitres_baudoin/chapitre_44.pdf
La municipalité s’organise :
-Une ambulance au quartier des Cavaillons dans la grande chapelle des pénitents blancs et ses annexes, spacieuse et proche du cimetière. Y sont attachés le Dr Prat*, le Dr Combal* et plus tard le Dr Mourgues spécialiste lyonnais. Les soignants para médicaux et les aidants sont les religieuses de la Présentation*, de Mouissèque, ainsi que les dames trinitaires* de la rue de l’Hôpital.
-Une autre ambulance à l’hospice civil et une aux Chantiers de la Méditerranée (Dr Clément* et Prosper Daniel*, Martinenq ex chirurgien de la Marine et Burq un spécialiste).
Les prêtres, les religieuses et tous les civils volontaires se dévouent pour assister les mourants et consoler les familles, en particulier les pères maristes qui mettent à disposition leur voiture et leur cheval pour transporter les morts de leur domicile au cimetière.
Le pharmacien du bas du marché Cyrus Hugues* distribue gratuitement les médicaments.
Octobre 1865 : « Nous avons vu employer le chloradine (Chlorodyne*)et toujours ce remède a réussi, mais celle qui bien souvent vient des Indes, qu’on trouve en Angleterre et non celle que l’on contrefaçonne en France« . (Bulletins quotidiens)
*Chlorodyne : médicament breveté inventé par le Dr John Collis Brown médecin de l’armée anglaise contre le choléra.
Le gros-vallat fut assaini par un nettoyage à l’eau de mer ainsi qu’avec des produits désinfectants projetés par une locomotive à vapeur fournie par les Forges et Chantiers, envoyant à la mer tous les détritus et immondices. (Source Louis Baudoin Histoire générale de La Seyne)
Sur le recensement de 1866 La ville compte 8062 individus (1008 en moins qu’en 1861) soit pour St Mandrier 2918 (1223 en plus), pour la campagne 812 (55 de plus qu’en 1861), pour un total de 11192 individus (11522 en 1861, soit une baisse d’environ 3% ).
En 1866, Rue Nicolas Chapuy, postérieurement à l’épidémie, 34 familles vivent réparties sur 16 habitations…
Il est frappant de constater que la Moyenne d’âge des occupants est de 25 ans environ (et leur progéniture en bas âge). Les noms à consonance italienne ne sont pas majoritaires…Plus tard (1891) arriveront d’autres italiens dont les Tallone*, bergers qui deviendront laitiers (voir par ailleurs)…
On peut imaginer le lourd tribut que ces italiens de « la petite Italie » ont payé au vibrion cholérique l’année précédente ….(500 décès en trois mois !)
Une fois le quartier assaini, il y a eu cet appel incitatif de la réembauche aux chantiers navals à repeupler ce territoire antérieurement dévasté, une sorte de recolonisation par peuplement de ce lieu de malheur antérieurement nommé rue de la Peste !!
L’Etat civil en 1872 recense pour La Seyne 9933 habitants dont 7233 population agglomérée et 2700 pop.éparse.
Dans la Rue Nicolas Chapuy (p 175 à p 179 Archives du Var) vivent 125 personnes, essentiellement des Italiens (39 Français).
(sources Archives du Var)
Recensement 1872
Rappel : En 1901 on recense 20718 habitants dont 576 vivent Rue Nicolas Chapuy.
« En majorité des Italiens bien sûr, lesquels travaillent aux F&C, quelques Espagnols, un Suisse (Alexandre Samson) et un Austro-Hongrois (Romuald Michich).
Il semble que, même nées sur place les filles Italiennes restent considérées Italiennes, sauf quand il est spécifié « naturalisée », alors que les garçons prennent la nationalité Française en étant nés en France.
Parmi ceux qui ne sont pas aux F&C nous avons comme métiers : quelques cultivateurs, marchand de fruits, pâtissier, épicière, couturière, lingère, cordonnier, chauffeur à la société anonyme des bateaux à vapeur (Maurice Luciano), bûcheron, agent de police (Alphonse Valenty), marchand de vin, blanchisseuse, tailleuse, marchand de bois, marchand de pétrole, restaurateur, maçon, cordier, laitier (Tallone Alexis patron laitier son épouse Anna ses deux fils et sa fille, tous laitiers), institutrice privée (Reine Moutte, 27 ans), coiffeur, domestique, boulanger, cafetier, un vétérinaire (Jean Berger, brésilien) et enfin des journaliers et des écolier(e)s. »
(Source Ludivine Rembobine)
Recensement 1901 dans la Rue Nicolas CHAPUY :
Gil, Santandréa, Viale, Vannucci, Dalmasso, Dalprato, Nicolas, Bertello, Bellone, Donelli, Ognibene, Mattalia, Vannucci, Domingo, Maritano, Guien, Brun, Samson, Hilaire, Biron, Costa, Brunel, Lassaro, Chauvet, Rivella, Maggé, Bruno, Rapalino, Trinchero, Lerdat, Giraudot, Falco, Paséro, Déjouani, Ferrero, Tajasque, Bianco, Bistolfi, Cantello, Saracco, Luciano, Marqués, Simondi, Catastini, Guibaudo, Perona, Chiambaretta, Degiovanni, Ramonda, Vene, Dalmasso, Chapelo, Violino, Marino, Allinio, Lerda, Sales, Pepino, Canale, Caramello, Guerisoli, Amandi, Riberi, Luchese, Matio, Giordano, Girino, Barbero, Stivalini, Novelli, Bonardi, Jonino, Valenty, Bianchi, Picardi, Gélis, Valloriz, Rossi, Spada, Pollero, Canaveze, Poitevin, Roustaud, Dubernard, Beltrando, Viale, Sbarra, Cantello, Bruno, Rambaux, Degoinni, Peyrano, Pellegriino, Ferrero, Serani, Brotilio, Viale, Dalmasso, Casamelo, Peirano, Martino, Revelli, Bronzini, Roa, Mathieu, Aboson, Allione, Viale, Etourdi, Bellone, Canepa, Tosello, Marquini, Boghetto, Charlen, Bernier, Bocciardo, Soldani, Pratti, Massaglia, Silvestro, Segonne, Ghia, Valere, Guisti, Barissone, Allimio, Giordano, Siletti, Olivi, Barnatti, Leguio, Vial, Calzia, Bertello, Podesta, Pardo, Giacobbe, Spingelo, Bertodatto, Balmatto, Cathala, Menent, Monticelli, Zunino, Dalmasso, Bottero, Brondello, Farine, Parola, Olivero, Couston, Caralia, Beltramo, Berado, Lerda, Basco, Kenzini, Mandrille, Montopolie, Noni, Tallone, Ivaldi, Macaris, Boggetti, Sansoé, moutte, Maurric, Baladon, Norgari, Pellegrini, Pellegrino, Léro, Ghione, Taurel, Rapete, Pistarino, Porta, Barbero, Lavene, Ponceot, Monti, Delcorsio, Léro, Porta, Barbero, Reppeto, Laveine, Castelotti, Cavallo, Giraudo, Giuliano, Dalmasso, Dutto, Biondi, Bisotto, Maddio, Pellegrino, Grosso, Mazini, Reymondon, Cimolai, Hortensia, Maccario, Thomasset, Voglio, Ghianto, Guigues, Castel, Allinio, Pasero, Martinelli, Garbero, Ellena, Giordano, Gautier, Ghina, Lamberti, Musso, Pommier, Giobergia, Rittano, Giraudo, Gori, Roatino, Sorzana, Gancia, Famiri, Pepino, Manavella, Ferreri Encheti, Comba, Carletto, Bergia, Dalformo, Cavallo , Michich, Pellegrin, Mosquera, Ristorto, Bongioani, Giraudo, Chamberetta, Pellegrino, Valeta, Parola, Lerda, Rebuffo, Giordano, Bruno, Casteletti, Mariaud, Luporini, Manfredi, Vachiero, Berger.
En Mai 1866 un obélisque en souvenir des actes de dévouement, de courage et de charité pendant la désastreuse épidémie de 1865 fut dressé sur la place Bourradet (il sera transféré plus tard au cimetière de la ville).
Les soignants de 1865 étaient Le Dr Combal, installé rue savonnière (future rue Taylor), en fonction en 1865, attaché à l’hospice et à l’ambulance des Cavaillons.
Le Dr Etienne Prat, ex-chirurgien de la Marine, médecin à La Seyne, conseiller municipal,
attaché lui aussi à l’ambulance des Cavaillons.
(Thèse de 1866 : La Seyne & son épidémie cholérique en 1865)
Clément et Prosper Daniel attachés à l’Hospice avec
Martinenq ancien chirurgien de la Marine, Burcq et Mourgues « spécialiste distingué venant de Lyon et Cyrus Hugues « l’apoticari »…
http://www.laseyneen1900.fr/2020/08/01/les-soignants-de-lepidemie-de-cholera-de-1865/
Sources :
° AUTRAN Marius. 1990. En passant par les rues de ma ville natale. Images de la vie seynoise d’antan, tome III, pp. 461-514.
° AUTRAN Marius. 2002. Origine des quartiers et lieux-dits seynois. Images de la vie seynoise d’antan, tome VIII, pp. 105-137.
° AUTRAN Marius. Vieilles pierres seynoises : marius. autran.pagesperso-orange.fr/oeuvres/tome2/vieilles_pierres.html
° BAUDOIN Louis. 1965. Histoire générale de La Seyne sur Mer et de son port, depuis les origines jusqu’à la fin du XIXe siècle, 914p.
° MERLE Toussaint. 1966. Souvenirs d’un petit Seynois. Conférence à la Société des Amis de La Seyne Ancienne et Moderne à propos de certaines rues seynoises. : http://www.rene-merle.com/article.php3? id_article=555]
° RIBOT Henri (avec la collaboration d’Antoine PERETTI). 2009. Les noms de lieux de l’Ouest Varois – Dictionnaire toponymique et historique. Cahier du Patrimoine Ouest Varois N° 12. Editions du Foyer Pierre Singal et Centre Archéologique du Var.
° Services Techniques de La Seyne-sur-Mer. Tableau de classement des voies communales, mise à jour de février 1984,21p. La Seyne – Informations – Histoire : http://cyril.castelbou.free.fr/la_seyne/noms_rues.html
° Histoire de La Seyne : http://www.la/– seyne.fr
° Les Amis de La Seyne Ancienne et Moderne (Le filet du pêcheur) Ollioules & ses ramifications
varoises : http://eaton.m.free.fr/
° Armada de Chile : http://revistamarina.cl/
° Chaîne pétitoire personnelle.
A propos des babi, macaroni , et autres piantou…
http://www.laseyneen1900.fr/2020/11/09/a-propos-des-babi-macaroni-et-autres-piantou/*
Je me permets d’ajouter l’excellent article de Matthieu Dalaine paru le 14 Avril 2020 sur Var-matin…et de réouvrir la parenthèse sur l’hydroxychloroquine que j’ai évoquée récemment à propos de l’Aire des Masques à Janas, masques pouvant être pris dans le sens écorce de chêne liège :
« De l’écorce des arbres à la thérapeutique…
Cette discussion nous oblige à ouvrir une parenthèse (qui peut-être vous éclairera pour la suite du propos) sur le rôle de la phytothérapie dans la pharmacopée universelle puisque les premiers colons européens au Pérou dès le XVIIème siècle justement observèrent que les indigènes extrayaient un médicament de l’écorce d’un arbre dénommé Cinchona (Cinchona officinalis) qu’ils utilisaient contre les frissons et la fièvre.
Dès 1633, cette phytothérapie fut introduite en Europe.
Elle y eut le même usage, et commença à être utilisée dans les cas de fièvre paludique…. »
La porte des chantiers : diaporama
La place de la Lune : diaporama
ANNEXES
Conseils hygiéniques en période épidémique édictés en 1865. Le tafia était utilisé en prévention et surtout le quinquina et ses dérivés. Pour les habitations le blanchiment des intérieurs à la chaux, pour les lieux de rassemblement les feux de bois de pin, sinon les fumigations chlorées…
Ps : Respect à ce brave boulanger fidèle son four pendant la terrible épidémie de choléra qui s’abattait sur La Seyne en 1865 sous la municipalité de Martel Esprit et qui avait fait fuir une partie de la population et la plupart des commerçants…En hommage, la ville reconnaissante lui accorda plus tard une concession à perpétuité au cimetière…
ainsi qu’à Augustin, ce valeureux domestique des Maristes…
Mise en forme PdP pour La Seyne en 1900
2020 : C’est un plaisir d’écrire ces historiettes sans prétention à partir des fondamentaux (autranesques le plus souvent ou baudoinesques), et au moins autant à lire vos échanges sur Fb où transparait la fierté seynoise, celle qui nous aidera à sortir de cette crise sanitaire, comme la ville en a beaucoup connu… Certains se revendiquent de la rue Nicolas Chapuy comme d’autres de Besagne…Ils sont issus de cette population nouvelle qui a remplacé la génération Choléra de 1865.
In memoriam…
Voir les articles sur Nicolas Chapuy, le Dr Clément Daniel, le Dr Etienne Prat, Joseph Marie Rousset et Cyrus Hugues:
http://www.laseyneen1900.fr/2020/07/30/lepidemie-de-cholera-de-1865-et-nicolas-chapuy/
http://www.laseyneen1900.fr/2021/06/03/clement-daniel-1810-1891/
http://www.laseyneen1900.fr/2020/11/09/etienne-prat/(ouvre un nouvel onglet)
http://www.laseyneen1900.fr/2021/06/04/nicolas-chapuy-1826-1865/(ouvre un nouvel onglet)
http://www.laseyneen1900.fr/2020/08/27/joseph-marie-rousset/
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