En ces temps où les pères Maristes (les communautés religieuses, l’Eglise catholique et la religion en général) n’étaient pas vraiment « en odeur de sainteté » au sens laïc du terme, ceux-ci furent victimes d’une tentative d’empoisonnement racontée Urbi et Orbi, à la fois de l’intérieur par la revue « Entre nous » et aussi par la presse locale, Le Toulonnais en l’occurence : 

LE TOULONNAIS Gazette de Provence

19 Mars 1872 : Une effroyable nouvelle a plongé ce matin notre ville dans la consternation la plus profonde. Le bruit courait que plusieurs élèves du collège des maristes de la Seyne étaient morts empoisonnés.

Il n’en était rien; les auteurs du crime ne s’étaient pas attaqués aux enfants, mais à leurs professeurs; aussi les familles doivent-elles être pleinement rassurées, car il n’y a pas un seul écolier à l’infirmerie.

Les Pères, en revanche, ont été rudement éprouvés. L’eau qu’on leur a servi à table était, parait-il empoisonnée. Sur vingt-six de ces messieurs, seize sont encore alités et trois ou quatre d’entre eux courent, à ce qu’on nous dit, de graves dangers. Le poison aurait été versé dans les carafes par un domestique qui est actuellement en état d’arrestation. Nous espérons, pour l’honneur des divers partis qui ont des adhérents dans notre ville que la politique est étrangère à ce crime odieux; il nous serait pénible de croire que des gens, fussent-ils même convaincus, eussent l’intention d’affirmer leurs doctrines par le meurtre et par l’assassinat.

Nous écrivons ces lignes à la hâte, car nous nous rendons immédiatement à la Seyne pour prendre des nouvelles de ces honorables prêtres qu’un infâme attentat a choisis pour victimes. Nous donnerons demain de longs détails sur l’état dans lequel ils se trouvent; mais nous ne saurions trop flétrir, en attendant, l’abjecte conduite des gens qui combattent une doctrine quelconque par la strychnine ou par l’arsenic !

Tous présentaient les mêmes symptômes : violents maux de tête, crampes d’estomac, nausées, vomissements, fièvre brûlante, etc.

ENTRE NOUS

« Dans la soirée du 18 mars, le Père Mahéraux se sentit indisposé et se coucha sans pouvoir prendre la légère collation du soir. Le lendemain 18, la fête de Saint Joseph fut célébrée, selon l’usage, avec une grande solennité. Dans la matinée, plusieurs autres Pères commencèrent à sentir une grosse fatigue; l’un se mit au lit avant la grand-messe de dix heures. Le père Supérieur, qui avait fait tous ses efforts pour dominer le mal et assister au Saint-Sacrifice, fut obligé de sortir avant la fin …  A la fin du jour, plusieurs autres étaient atteints et, pendant la nuit du 19 au 20, il fallut veiller et soigner une dizaine de malades. Enfin dans la journée du 20, trois Pères s’alitent encore, ce qui porte à treize le nombre des Pères qui doivent garder le lit plus ou moins longtemps. Le lendemain, sur 29 pères qui se trouvaient alors dans la maison, vingt-cinq étaient atteint plus ou moins gravement et quatre seulement indemnes ».

LE TOULONNAIS

Ces empoisonnements ne pouvaient être attribués ni aux ustensiles ni aux préparations de la cuisine, car les religieuses, les élèves, les domestiques n’éprouvaient ni malaise, ni indisposition. La cause devait être cherchée dans le réfectoire des Pères. Une observation frappa alors tous les esprits : les Pères les plus gravement atteints avaient bu une quantité d’eau notable, tandis qu’au contraire les quatre qui n’éprouvaient aucune fatigue n’avaient jamais bu d’eau de leur vie* ! On fut ainsi conduit à penser que quelqu’un avait bien pu dans cette journée du 18, glisser quelque substance toxique dans les carafes des Pères. La chose était d’autant plus facile qu’elles restent constamment exposées à tout venant sur une table de service.

De plus, ce même jour, deux garçons bouchers avaient travaillé dans la maison; après leur travail, on leur servit quelques rafraîchissements dans le réfectoire des Pères et ils prirent de l’eau dans une des carafes qui s’y trouvaient. Le lendemain, ces deux jeunes gens étaient atteints, comme les Pères du collège et l’un d’eux était même dans un état qui inspirait des inquiétudes. 

*ENTRE NOUS : On peut penser qu’ils n’avaient bu que du vin. A cette époque, les pensionnaires buvaient du vin « coupé d’eau à cinq degré, qu’il était  » recommandé  » d’additionner d’eau. (Extrait du Règlement) 

LE TOULONNAIS

Voici les renseignements complémentaires que nous avons pu nous procurer au sujet de la tentative d’assassinat commise sur les Maristes de La Seyne. Ils confirment pleinement ceux que nous avons donnés dans notre numéro d’hier.

Treize de ces messieurs sur seize sont en convalescence. Ils se trouvent encore dans cet état de lassitude qui suit toujours les secousses violentes, mais du moins sont-ils hors de danger. Trois des victimes sont encore obligées de garder le lit : ce sont MM. le supérieur, l’économe et le professeur de seconde.

Ce dernier aurait été averti, parait-il, par son voisin de table que l’eau de la carafe était trouble. « Bah ! répondit-il en souriant, elle ne me fera pas plus de mal pour cela ! » Il a du, quelques heures après, être cruellement détrompé. Mais la position de ces trois messieurs, nous nous hâtons de le dire, ne présente rien de grave ni d’inquiétant, et le jour est proche où ils seront complètement rendus à la santé.

Quant à l’auteur supposé du crime, on comprendra que nous ne parlions de lui qu’avec une extrême réserve, car un prévenu doit être considéré comme innocent, tant que la justice n’a pas examiné les charges qui pèsent sur lui.

On prétend que dans son interrogatoire il a fait des réponses qui se contredisent; on assure que, prévenu de l’indisposition de plusieurs pères maristes, il aurait dit :

 » Allez, il y aura beaucoup plus de malades demain «  Mais ce sont là des bruits que nous enregistrons uniquement pour nous faire l’écho de la rumeur publique et sans en prendre le moins du monde la responsabilité…

« Dès le principe, les soupçons se portèrent sur un domestique qui se trouvait dans la maison depuis 18 mois et qu’on gardait par pitié après un premier renvoi; il s’était signalé en ville et dans le collège par des discours impies et révolutionnaires, et même par des menaces proférées contre les Pères. Ce malheureux, nommé Joseph Devenez, confirma bientôt lui-même ces soupçons par l’attitude qu’il prit dans la journée du 20 : il se mit au lit, se dit malade aussi et cependant le médecin ne put découvrir en lui aucun indice du mal qu’il prétendait éprouver. Son renvoi définitif et immédiat fut donc décidé et, dans l’après-midi de ce même jour, le P. Simon alla le lui signifier au nom du Père économe retenu dans son lit par la souffrance. S’il fut resté quelque doute à son sujet, la contenance timide et embarrassée avec laquelle l’inculpé reçut cette nouvelle, eut suffi à transformer ce doute en une certitude. ». (Père Bouvet)…

ENTRE NOUS

« Il s’appelle Joseph Devenez et est âgé de cinquante ans. Il était domestique au collège de La Seyne où il avait été accueilli par charité. 

Déjà la police de La Seyne avait les yeux ouverts sur ce domestique qui lui était signalé depuis plus d’un mois et qui était en rapport avec les révolutionnaires et les sociétés secrètes du pays. le parquet de Toulon ordonna son arrestation qui eut lieu le jeudi 21 mars à 7h du matin. Le premier interrogatoire, fait au collège même en présence de quelques prêtres, révéla plusieurs faits à la charge de l’accusé. Lui- même tomba dans les contradictions les plus manifestes, cherchant à expliquer de mille manières l’empoisonnement qui avait eu lieu, et ne réussit qu’à convaincre de sa culpabilité le juge d’instruction et le procureur de la République. C’est l’impression que nous ont donnée ces Messieurs à l’issue de l’interrogatoire ».  

LE TOULONNAIS

Quel que soit le coupable, il est certain qu’il y a eu tentative d’empoisonnement, car l’analyse chimique a fait découvrir, soit dans les breuvages absorbés par les malades, soit dans les déjections rejetées par eux, une substance toxique dont nous ignorons le nom, mais qu’on nous affirme avoir un effet irritant très énergique. L’avis de tous les hommes de l’art et notamment, nous dit-on, de M. le docteur Prat*, qui a soigné les Pères, est qu’il n’y a pas de doute possible sur une intention criminelle que le hasard seul a empêché de réussir.

Nous tiendrons nos lecteurs au courant de cette affaire, à mesure que de nouveaux détails parviendront à notre connaissance.

L’instruction en sera probablement rapide, car M. le procureur de la République a passé la journée d’hier à La Seyne, et les pièces de conviction doivent être parvenues ce matin au parquet.

Ce que nous constatons en tout cas, avec bonheur, c’est qu’il y aura eu plus de peur que de mal, et que nous n’aurons aucun malheur sérieux à déplorer.

M. le supérieur des Maristes est hors de danger et peut vaquer à ses occupations. Les trois Pères qui gardent encore le lit sont MM. Michel, professeur de seconde, Terrasse et Mahereaux. L’état des autres est beaucoup meilleur; une consultation à laquelle ont pris part MM. Roux, directeur du service de santé; Barallier, médecin en chef; Queil, médecin principal de la marine; Daniel (probablement Prosper Daniel* ) et Prat, médecins de La Seyne, a abouti aux conclusions les plus satisfaisantes.

Puisque nous revenons encore sur cette douloureuse affaire, profitons-en pour relever une nouvelle calomnie du Progrès du Var. A l’en croire, nous aurions accusé le parti communard de cette tentative d’assassinat.

Rien de plus mensonger que cette assertion; nous avons dit au contraire que nous espérions, pour l’honneur des partis, que la politique était étrangère à l’évènement. Nous conservons encore cette conviction, et ne tirons aucune induction en sens contraire du grand nombre d’exemplaires du Progrès qu’on a trouvés dans la chambre de l’accusé, car nous voulons donner à notre confrère une leçon de loyauté dont il a grand besoin.

ENTRE NOUS

« On a négligé de faire des analyses chimiques pour déterminer la nature du poison. Une telle négligence est vraiment inexcusable de la part du docteur chargé de soigner les malades. L’expert désigné n’a pas pu constater d’une manière certaine la nature de la substance employée. Tout porte à croire que, dans le cas présent, l’agent toxique a été le tartre stibié ou tartrate de potasse et d’antimoine. C’est du moins l’opinion du docteur Prat.»

LE TOULONNAIS

Nous recevons la lettre suivante que nous insérons avec empressement, tout en maintenant l’exactitude de la plus grande partie de nos informations, que nous avons puisées à une excellente sourсе :

La Seyne, le 23 mars 1874.

Monsieur le rédacteur,

On me communique à l’instant un article de votre journal, dans lequel vous rendez un compte complémentaire de ce qui vient de se passer au sein du collège des PP. maristes.

Mon nom figurant dans cet article comme médecin ayant donné mes soins aux professeurs de cette institution, qui se sont trouvés frappés, mon devoir est de vous adresser à la hâte ces quelques lignes, pour vous prier de vouloir bien rectifier dans votre plus prochain numéro, les erreurs qui ont été fournies par votre correspondant.

•Je me résume :

1° : Les propos tenus par un Père mariste, au sujet de l’eau trouble d’une certaine carafe sont de pure invention.

2° : Parmi les malades encore obligés de garder le lit ne figurent, ni le Père supérieur, ni le Père économe.

3° : Les paroles attribuées au prévenu : « allez il y aura beaucoup plus de malades demain » n’ont pas été proférées; personne ne les a entendues.

4° : L’analyse chimique n’est point terminée. Elle n’a donc pu faire reconnaitre dans les déjections alvines ou dans les matières des vomissements la substance irritante qui a provoqué les accidents toxiques observés chez la plupart des Pères auxquels nous avons donné et donnons encore nos soins aujourd’hui.

5° : Les hommes de l’art et notamment le docteur Prat n’ont pas pu également se prononcer sur la question criminelle, qui est entièrement dans les attributions de la justice, seule compétente pour se prononcer, après instruction de l’affaire, sur ce côté de la question.

Notre rôle n’est ici, en effet, que celui de médecins légistes et consiste essentiellement, comme dans tous les cas analogues, a éclairer les magistrats dans la nature des accidents observés pendant la maladie, et celle de l’agent ou des agents qui ont déterminé ces accidents.

Veuillez agréer, monsieur le Rédacteur, avec mes remerciements empressés l’assurance de ma parfaite considération.

  PRAT.

LE TOULONNAIS

CHRONIQUE LOCALE

Il résulte des nouvelles informations que nous avons prises sur le bruit qui a couru de la tentative d’empoisonnement sur les Pères Maristes du collège de la Seyne, les renseignements suivants :

Sur onze des Pères qui ont été malades, sept sont aujourd’hui complètement rétablis et quatre en pleine convalescence.

Il résulte de l’avis de la science que la présence de l’antimoine trouvé dans les déjections de l’un des Pères à qui, le 19, on avait administré de l’émétique serait le produit de cet émétique même.

Malgré cela, l’analyse continue son cours pour savoir si oui ou non il y a eu tentative d’empoisonnement.

Quand la science aura dit son dernier mot nous en préviendrons nos lecteurs.

Nous nous croyons obligé cependant de leur annoncer que, d’après un bruit généralement répandu, l’accusé serait entré dans la voie des aveux.

ENTRE NOUS

« Depuis, l’instruction de l’affaire s’est poursuivie à Toulon. Que s’est-il passé ? On l’ignore, la justice s’étant constamment entourée du secret le plus absolu. Mais le prévenu a été rendu à la liberté le 16 avril. Peut-être est-il heureux que cette malheureuse affaire se soit terminée ainsi, car si elle eut été portée devant les tribunaux, les débats publics ou même une condamnation eussent bien pu exciter encore contre notre maison la haine des méchants. »

Le mot de la fin de cette histoire revient aux pères Maristes :

le 29, le R.P. Supérieur Général venait nous surprendre par son arrivée inattendue; ce bon et vénéré Père avait voulu être au milieu de ses enfants éprouvés afin de les consoler, de les encourager, de les fortifier par sa présence. Comment exprimer la joie, les épanchements de cette première entrevue, où toute la famille réunie autour de son père bien aimé lui témoignait son bonheur et sa reconnaissance de pouvoir le posséder pendant quelques jours. C’est surtout après ces moments d’épreuves, lorsqu’on goutte les consolations de frères pieux et dévoués, qu’on est heureux d’appartenir à une Société qui veille sur ces enfants avec une tendresse toute maternelle.

Comme ll est bien et combien agréable de vivre fraternellement (répertoire grégorien)

Sources

ENTRE NOUS (revue interne I.S.M)

Le TOULONNAIS (Presse locale 1835-1873)

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *